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Le Mans 1980 : quelques images et souvenirs d’époque

Flash-back 39 ans en arrière. A priori, la Classique mancelle 1980 ne s’annonçait pas comme un grand cru. Renault et Porsche absents, la course se jouerait entre des écuries privées et des artisans. Mais il faut se méfier des préjugés. En matière de gastronomie, il existe des petits bistros dont la cuisine offre des saveurs plus jouissives que celles des restaurants étoilés. Au Mans, la longueur de la course et les facéties des Dieux de la météo troublent souvent les cartes. La raison du plus fort sur le papier n’est pas forcément la meilleure sur le bitume.

L’édition 1980 se promet de rendre hommage à la glorieuse incertitude du sport. La course s’annonce pleine de suspense. Elle va nous faire son cinéma. Normal dans un contexte où la mission d’abaisser le drapeau tricolore libérant les concurrents se voit confiée à une star de l’écran, Alain Delon en personne. Un autre comédien entend jouer un rôle d’interprétation au volant d’une Porsche 935 K3 préparée par Kremer, Jean-Louis Trintignant. Au pesage, le public se presse autour de lui. Neveu de Maurice Trintignant, vainqueur du Grand-Prix de Monaco 1955, la vedette masculine de Un homme et une femme joue dans la vraie vie le rôle d’un pilote de course. Les performances de Steve McQueen (2ème aux 12 Heures de Sebring 1970) et de Paul Newman (2ème au Mans 1979), donnent des idées à ses supporters. Il reste à Trintignant à confirmer les espoirs de ses fans avec une voiture autrement difficile à maîtriser que la Triumph Dolomite qu’il conduit dans des courses de voitures de production.

Malheureusement pour lui et surtout pour ses équipiers, Trintignant s’en sort difficilement sur la piste. Son niveau de performances lui attire même les foudres d’Anny-Charlotte Verney qui aurait souhaité que l’acteur soit retiré de l’équipage après le pesage. « Au début des essais, il a fait 14 tours sans faire de chrono suffisant car il pleuvait », constate amèrement la Mancelle. Résultat, Xavier Lapeyre et elle ne pourront effectuer respectivement que 6 et 3 tours. Et comme Trintignant ne s’est pas qualifié, ils devront attendre la décision de repêchage des commissaires pour être certains de partir. N’est pas Steve McQueen, Paul Newman ou David Hallyday qui veut. Si certaines vedettes des métiers du spectacle font l’unanimité dans le monde de la course auto, Jean-Louis Trintignant ne convaincra pas.

Stuck-Lacaud-Bürger - (1) - BMW-M1 - 1980 - Le-Mans - Photo-Thierry-Le-Bras .JPG

Stuck-Lacaud-Bürger – (1) – BMW-M1 – 1980 – Le-Mans – Photo-Thierry-Le-Bras

Les Dieux du ciel font des caprices à l’heure du départ. La piste du Mans s’est transformée en patinoire. Dominique Lacaud, l’homme de l’Ouest, se réjouit bientôt de voir la BMW M1 qu’il partage avec Hans Stuck pointer un moment à la seconde place au plus fort de l’averse. Les éléments rendent les conditions de course pénibles, mais aucun des favoris ne se trouve éliminé prématurément.

Péripéties

Elles avaient belle allure les Lancia Beta.

Darniche - Fabi - Heyer - Lancia-Beta-Monte-Carlo - (1) - 1980 - Le-Mans - Photo- Thierry-Le-Bras

Darniche – Fabi – Heyer – Lancia-Beta-Monte-Carlo – (1) – 1980 – Le-Mans – Photo- Thierry-Le-Bras

Alain Delon tenait à contrôler son image dans ses films. Aussi veillait-il à ses tenues, à ses armes et à ses véhicules. Alain Delon et Mireille Darc étaient des amis de Monsieur Chardonnet, importateur Lancia et Autobianchi en France. Un partenariat liait d’ailleurs Alain Delon et Monsieur Chardonnet. Les parfums Alain Delon apparaissaient sur les carrosseries de certaines Lancia en course. Alain, Mireille et Lancia, c’était une histoire forte qui se tourna au cinéma, sur fond de rallye et sur la piste du Mans.

Darniche - Fabi - Heyer - Lancia-Beta-Monte-Carlo - (2) - 1980 - Le-Mans - Photo- Thierry-Le-Bras

Darniche – Fabi – Heyer – Lancia-Beta-Monte-Carlo – (2) – 1980 – Le-Mans – Photo- Thierry-Le-Bras

En 1980, les parfums Alain Delon et l’importateur Chardonnet font partie des sponsors de la Lancia Beta Monte-Carlo groupe 5 N° 51 engagée par la Scuderia Lancia Corse pour Bernard Darniche, Teo Fabi et Hans Heyer. Alain Delon et Mireille Darc assistent au départ. J’ai eu la chance de pouvoir photographier cette auto avant la mise en grille. Aléa des sports mécaniques, elle abandonnera rapidement, au bout de six tours. Mais je pense que les retombées médiatiques furent positives, tant pour les parfums Alain Delon que pour Lancia.

Pironi- Quester-Mignot - 2 - BMW-M1 - 1980 - Le-Mans - Photo-Thierry-Le-Bras

Pironi- Quester-Mignot – 2 – BMW-M1 – 1980 – Le-Mans – Photo-Thierry-Le-Bras

Associé à Didier Pironi et Dieter Quester, le Manceau Marcel Mignot faisait équipe avec des pointures sur une voiture à la décoration remarquée.

Une sortie de piste de Marcel Mignot le samedi soir au Tertre Rouge et un échappement cassé ralentiront la BMW M1 N° 83 qui finira la course sur 5 cylindres à la 14ème place, juste devant la N° 84.

Stuck-Lacaud-Bürger - (2) - BMW-M1 - 1980 - Le-Mans - Photo-Thierry-Le-Bras

Stuck-Lacaud-Bürger – (2) – BMW-M1 – 1980 – Le-Mans – Photo-Thierry-Le-Bras

Dominique Lacaud partageait l’autre BMW M1 IMSA avec Hans Stuck et Hans-Georg Bürger.

Les M1, plus à l’aise sur les courses de 1000 kilomètres ou de 6 heures, passèrent souvent par les stands durant les 24 Heures.

Jean-Louis Trintignant voit mal la nuit et son contrat prévoyait qu’il ne roulerait que de jour. Son premier relais dominical va lui valoir une émotion forte. « Dans les virages du Tertre Rouge, j’ai senti qu’un pneu se dégonflait, racontera-t-il. J’ai pensé m’arrêter, mais je me suis dit, au stand, ils vont me prendre  pour un rigolo. Alors, j’ai continué… Je roulais à 330 km/h dans les Hunaudières. Un pneu a explosé. Je suis parti d’un bord à l’autre de la piste. Je me suis dit, je vais mourir. On m’avait tant expliqué qu’un accident dans cette ligne droite ne pardonnait pas… La plus grande peur de ma vie. J’ai cru que j’allais mourir… Déjà lors de la première séance d’essais, je  me suis dit que j’étais fou d’être là… Après, j’étais content… Mais je ne reviendrai plus au Mans… » Une décision qui ne fera pas pleurer son équipière Anny-Charlotte Verney.

Verney- Lapeyre-Trintignant - Porsche-935-K3 - 1980 - Le-Mans- Photo-Thierry-Le-Bras

Verney- Lapeyre-Trintignant – Porsche-935-K3 – 1980 – Le-Mans- Photo-Thierry-Le-Bras

« Ces deux-là ne passeront pas leurs vacances ensemble », aurait pu commenter Thierry Roland s’il avait évoqué Anny-Charlotte Verney et Jean-Louis Trintignant. La pilote sarthoise était très déçue du niveau de son équipier comédien. « Mon premier abandon en 7 ans, lâchait-elle le dimanche matin. Ce chiffre ne doit pas me porter chance. Je suis complètement désabusée. Nous avions tout pour réussir. Une 3ème place était à notre portée. Trintignant prétend avoir crevé dans la ligne droite. Il s’est bloqué… »

Contraste-au- Tertre-Rouge - 1980 - Le-Mans- Photo-Thierry-Le-Bras

Contraste-au- Tertre-Rouge – 1980 – Le-Mans- Photo-Thierry-Le-Bras

Une WM passe, toujours en course. Une Osella blessée attend, rangée au bord de la piste, que les mécanos de son écurie viennent la récupérer. C’est ça aussi Le Mans. La course de Lella Lombardi et Mark Thatcher s’est arrêtée après 157 tours. Une grosse déception pour l’ex pilote de Formule 1 et le fils de la Dame de fer. C’est dur de décrocher un volant au Mans. Ce n’est pas évident de se qualifier, surtout quand la météo joue les trouble-fête. Et quand la course s’arrête avant le drapeau à damier, chaque pilote de l’équipage mesure les efforts à fournir pour se retrouver l’année suivante en situation de bien figurer.

Poulain-Destic-Snobeck - (1) - Porsche-935 - 1980 -Le-Mans - Photo-Thiery-Le-Bras

Poulain-Destic-Snobeck – (1) – Porsche-935 – 1980 -Le-Mans – Photo-Thiery-Le-Bras

Soucis d’allumage et de turbo, sortie de piste de Destic, la voiture engagée par Hervé Poulain ne fut pas à la fête. Elle terminera tout de même à une fort honorable 20ème place.

Avec des vainqueurs

Bruno Sotty aura plaidé la cause de sa Chevron Roc avec toute sa morgue d’avocat (son métier dans le civil).

Sotty- Hesnault- Laurent - Chevron-B-36- 1980 - Le-Mans- Photo-Thierry-Le-Bras

Sotty- Hesnault- Laurent – Chevron-B-36- 1980 – Le-Mans- Photo-Thierry-Le-Bras

Le jugement du chronomètre se montrera favorable puisqu’avec ses équipiers Philippe Hesnault et Dominique Laurent, il l’emporte dans la catégorie des prototypes de moins de 2 litres.

Rondeau-Jaussaud - Rondeau - 1980 (1) - Le-Mans - Photo-Thierry-Le-Bras

Rondeau-Jaussaud – Rondeau – 1980 (1) – Le-Mans – Photo-Thierry-Le-Bras

Au petit matin, la Porsche de Ickx et Joest mène solidement la course devant la Rondeau Le Point de Jean Rondeau et Jean-Pierre Jaussaud. Chacun roule à son rythme. Il reste à parcourir une distance équivalente à quatre Grands-Prix et la météo s’annonce menaçante. Beaucoup de choses peuvent encore arriver.

Mais la piste inondée du Mans n’est pas un long fleuve tranquille ! La boite de la Porsche de tête fait des siennes. En fin de matinée, la voiture de Ickx et Joest s’arrête longuement au stand. La Rondeau de Jean Rondeau et Jean-Pierre Jaussaud remonte, la dépasse, construit une petite avance. Le rêve du pilote constructeur manceau est devenu réalisable. Il peut gagner Le Mans au volant d’une de ses voitures. A trois heures de l’arrivée,  Jean  Rondeau roule en slicks. La piste est sèche. Soudain, un nouvel orage éclate. Un proto en slicks sous la pluie, c’est encore plus délicat qu’une voiture de tourisme sur de la glace vive. La Rondeau  échappe à son créateur dans la montée du Dunlop. Elle s’immobilise après une figure libre, moteur calé. Elle n’a rien touché. Mais le V8 Ford Cosworth  ne repart pas lorsque  Jean Rondeau actionne le démarreur. La Porsche de Joest qui compte trois tours de retard approche à son tour du Dunlop, en perdition elle-aussi. Elle évite de peu la Rondeau. Enfin, le V8 redémarre. Jean Rondeau repart, mais l’incident a épuisé son influx nerveux. Il s’effondre et concède des valises à Jacky Ickx qui a relayé Joest. Il décide alors de s’arrêter et de laisser les deux derniers relais à Jean-Pierre Jaussaud.

Rondeau-Jaussaud - Rondeau - 1980 (2) - Le-Mans - Photo-Thierry-Le-Bras

Rondeau-Jaussaud – Rondeau – 1980 (2) – Le-Mans – Photo-Thierry-Le-Bras

Deux ans plus tôt, le Normand, fatigué et inquiet à cause des bruits suspects de la boite de vitesses de l’Alpine A 442B sur laquelle il était associé avec Didier Pironi, avait préféré ne pas effectuer son dernier relais et laisser son équipier terminer la course seul. Cette fois, c’est sur lui que repose une fin de course pénible. En 1978, la météo faisait déjà des siennes. Une chaleur torride accablait les équipages. Cette fois, ce sont les orages qui mettent les pilotes en difficulté.

Il reste moins d’une heure de course. Un nouvel orage éclate. Jacky Ickx fait le pari de chausser immédiatement les pneus pluie. Jaussaud et l’équipe Rondeau pensent que l’orage ne va pas durer. La Rondeau Le Point continue en slicks … et frôle une nouvelle fois la catastrophe. Nouveau tête à queue, nouveau flirt avec les rails, nouveau calage du moteur, nouveau silence aux coups de démarreur. Puis un miracle. Les Dieux de la mécanique se disent peut-être qu’ils ont assez joué avec les nerfs de Jean Rondeau et de Jean-Pierre Jaussaud. Le V8 Cosworth crache enfin sa puissance. La piste sèche. Icks s’arrête rechausser des slicks. Son pari est perdu. Dans les stands Rondeau, tout le monde croise les doigts, à commencer par le patron et sa mère. Les minutes sont longues, très longues. Les gorges deviennent sèches. Le rythme cardiaque s’accélère. Enfin, le drapeau à damier s’abaisse sur la victoire de la Rondeau numéro 16. La voiture soutenue par l’hebdomadaire Le Point ne s’est pas contentée d’être un vecteur de communication, elle a créé l’événement.

Jean Rondeau a réalisé son rêve le plus fou. Le public exulte. Le pilote constructeur pense déjà aux nouvelles perspectives que la victoire ouvre à son équipe. « Ce n’est qu’un début, promet-il. Certains constructeurs n’ont pas jugé bon de persévérer après un succès aux 24 Heures du Mans. Je  ne suis pas de ceux-là. »

En remportant Le Mans au volant d’une voiture portant son nom, Jean Rondeau réalise son rêve d’enfant… Une victoire méritée, la promesse d’autres défis !

QUELQUES LIENS

Une suggestion, suivre la Timeline DESIGMOTEUR https://gotmdm.com/timeline/

Le Mans 1978, une victoire française http://circuitmortel.com/2018/06/1978-didier-pironi-vainqueur-au-mans-avec-renault-alpine/

Quand Maître Hervé Poulain adjuge au Mans Classic une Porsche qu’il a pilotée aux 24 Heures http://circuitmortel.com/2016/07/36-ans-apres-la-porsche-935-retrouve-son-maitre-pour-la-troisieme-fois/

Race, fun and sun… Des courses automobiles dont Le Mans sous la canicule http://circuitmortel.com/2018/08/meteo-estivale-et-course-auto-la-canicule-de-1976-12/

Un savoir-faire, élaborer le contenu rédactionnel qu’il vous faut, celui qui vous distinguera des autres ! https://bit.ly/2VtIRob

Thierry Le Bras

 

 

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