Partager la publication "Météo estivale et course auto : la canicule de 1976 (1/2)"
Qu’importe la météo quand on aime les sports mécaniques ? L’amoureux de vitesse et de belles machines s’adapte aux éléments !
Pilotes, spectateurs, photographes, accompagnateurs, journalistes, commentateurs, amis de concurrents, supporters, nous avons tous connu les caprices des dieux du ciel. Aiment-ils la compétition, les exploits, ou au contraire se montrent-ils jaloux de l’adresse, de l’ingéniosité et du courage des simples humains ?
L’hiver, Zeus et sa bande nous envoient la pluie, le vent, la neige… Les pilotes composent avec une adhérence précaire. Ceux qui les suivent bravent l’angine, la grippe, la laryngite. Puis viennent les beaux jours. Parfois trop beaux. Les grandes chaleurs comportent leur lot d’inconvénients… Mais le club des irréductibles passionnés résiste encore et toujours. Rien n’empêche ces vaillants autophiles et motophiles de vivre les temps forts qu’offrent leurs sports préférés !

Sinsoulier – Ford- Escort -1800-RS – 1976 – Pouillé-les-Coteaux- Photo-Thierry-Le-Bras
Ayant suivi des courses automobiles depuis l’adolescence, réalisé des milliers de photos au bord des pistes, piloté plusieurs saisons, j’ai connu des conditions variées. En tant que Breton, je résiste plutôt bien à la pluie, au vent, au froid. Et à la canicule, objecteront certains ? J’en conserve des souvenirs bien sûr. Pas question qu’elle m’arrête.
1976, une vague de canicule s’abat sur le pays
Michel Sardou chante Le France. Sylvie Vartan ne se plaint de rien lorsqu’elle demande « Qu’est-ce qui fait pleurer les blondes ». Johnny ne veut pas mourir d’amour enchaîné, tout au moins pas maintenant avec « Gabrielle ». Michel Fugain constate que « Le printemps est arrivé, la belle saison ». Il a raison. Des paroles lancées par Claude François cinq ans plus tôt redeviennent d’actualité. « Il fait beau, il fait bon, la vie coule comme une chanson… »
Le printemps a été chaud dans les universités. Des grèves ont perturbé les cours dès avant les vacances de Pâques. Le programme des examens sera décalé. Les étudiants passeront les écrits fin juin et la première session des oraux seulement début septembre. La chaleur laisse espérer aux viticulteurs des crus exceptionnels. Mais elle inquiète les éleveurs et le monde agricole en général. Des mesures de restriction de l’usage de l’eau ne tarderont pas. Parmi elles, l’interdiction de laver les voitures dans les départements touchés.

Pironi-Wollek- Beaumont – Porsche-934-Kremer – 1976 -Le-Mans – Photo-Thierry-Le-Bras
Les 24 Heures du Mans se dérouleront sous une chaleur torride. Qu’importe, la date me convient. Ce sera ma première fois au Mans ! De bon augure l’année où je débute en course de côte ! Tout au moins, je l’espère et, un peu superstitieux, je m’en persuade. J’arrive dès le vendredi. Je plante ma tente dans le camping réservé à l’intérieur du circuit. J’ai une bonne provision de pellicules diapos. De quoi tenir tout le week-end en principe, même en appuyant souvent sur le déclencheur. La provision d’eau minérale m’inquiète plus. Où que je mette les bouteilles, dans le coffre de la voiture ou sous la tente, elle atteindra vite une température propice à préparer le thé et perdra son pouvoir rafraichissant. Il faudra acheter des boissons fraiches dans les buvettes. Pas grave. J‘aviserai. J’ai prévu tout le kit de survie en milieu chaud, casquette, chemises légères à manches longues (pratiques dans l’hypothèse de coups de soleil sur les bras), crèmes solaire, crème en cas de brûlure…

Gregg-Redman – BMW-30-CSL-Turbo -1- 1976 – Le-Mans – Photo-Thierry-Le-Bras
Le spectateur, fût-il obsédé par le besoin irrésistible de réaliser des photos, conserve la faculté de se réfugier à l’ombre lorsque le soleil cogne trop fort. A l’intérieur des voitures, les pilotes souffriront davantage. Las bolides ignorent la climatisation à cette époque. Imaginez ce que les pilotes vivent dans les baquets. La température atteindra 60 degrés à l’intérieur des voitures fermées, voire plus dans celles dont le groupe propulseur est installé en avant. Presque trente ans plus tard, en 2005, des températures de 80 degrés seront relevées. Des conditions inhumaines qui soumettent les pilotes à la torture, provoquent des pertes de poids spectaculaires, risquent de causer des malaises. Au bord de la piste et dans les stands, les commissaires, les mécaniciens et tous ceux qui travaillent sur le site vont affronter l’enfer.
La chaleur joua-t-elle un rôle dans certains abandons durant cette édition ? Fragilisa-t-elle les mécaniques ? Provoqua-t-elle une usure prématurée des pneumatiques ? Je ne saurais le dire avec certitude. D’ailleurs, je ne pense pas qu’elle ait joué un rôle prépondérant dans le renoncement prématuré la BMW 30 CSL Turbo engagée par BMW Motorsport pour Peter Gregg, Brian Redman et Hervé Poulain. La voiture appartenait à la lignée des Art cars initiées par le commissaire-priseur le plus rapide du monde. Franck Stella avait réalisé sa décoration. Le papier millimétré zébré de lignes de force projeté sur la carrosserie du gros coupé BMW aux allures de lutteur symboliserait la science des ingénieurs et l’habileté des mécaniciens.

Gregg-Redman – BMW-30-CSL-Turbo -2- 1976 – Le-Mans – Photo-Thierry-Le-Bras
La BMW « Silhouette » reçoit un moteur 6 cylindres dopé par deux turbocompresseurs. Un monstre de 750 chevaux conçu pour atteindre 370 kilomètres/heure dans les Hunaudières ! Incontestablement une des plus belles voitures engagées cette année-là. BMW et ses pilotes peuvent légitimement espérer un gros résultat. La version 30 CSL atmosphérique de l’année précédente – décorée par Calder – avait permis à Hervé Poulain de pointer un moment à la cinquième place du classement général et de rouler de concert avec la Ligier JS2 de Jean-Pierre Beltoise. La machine survitaminée de 1976 ne répondra malheureusement pas aux espérances. « Fais attention Hervé, c’est une voiture pour ingénieur, pas pour pilote », préviendrait Peter Gregg à l’heure des essais. Durant les séances qualificatives, la BMW N° 41 connaîtrait de nombreux problèmes. Le premier jour, elle resta en panne à Arnage. Le second, son moteur martyrisa tellement le châssis que la custode arrière menaça de s’envoler. Hervé Poulain ne pourrait même pas se qualifier à cause de ces incidents l’empêchant de boucler des tours clairs. En course, elle abandonnerait rapidement. Mais Hervé Poulain reviendrait au Mans et connaîtrait la satisfaction intense de terminer parmi les équipages classés. Quant à moi, j’aurai eu le plaisir de photographier la bête de course jusqu’à l’instant précis où elle quitta la scène.

Quester-Krebs-Peltier – BMW-3.5-CSL – 1976 – Le-Mans – Photo-Thierry-Le-Bras
Le beau temps s’invita tout le week-end des 24 Heures. Le soleil offrit une belle luminosité aux photographes. Il favorisa sûrement le chiffre d’affaires des buvettes. Quel bonheur de savourer un Perrier bien frais lorsqu’on lutte contre la déshydratation… Je ne me rappelle pas avoir trop souffert de la température. Le bonheur d’assister à la course aura surpassé tous les petits inconvénients. Je pense toutefois que ceux qui cédèrent à la tentation d’excès de boissons alcoolisées durant la nuit mancelle le payèrent plus cher que d’habitude au réveil.
Race, fun and sun
De retour du Mans, je me concentre sur les obligations de la vie quotidienne. Le prochain rendez-vous automobile est fixé quinze jours plus tard, à la Course de côte de Pluméliau. Je me réjouis de disputer cette épreuve située dans le Morbihan, une région qui m’est chère. J’apprécie ce site où je me suis rendu l’année précédente en qualité de spectateur équipé de ses appareils photo. Malheureusement, l’épreuve sera annulée à cause de la sécheresse qui sévit de plus en plus.

Pac-fermé – 1976 – Pouillé-les-Coteaux – Photo-Thierry-Le-Bras
Par contre, celle de Pouillé-les-Coteaux (à proximité d’Ancenis) la semaine suivante est maintenue. J’y serai au volant de mon Opel Ascona SR que j’utilise également pour rouler au quotidien. Je n’ai pas encore d’équipe d’assistance. Je pars tout seul le vendredi après-midi. J’ai mis les slicks dans le coffre avec le matériel de camping, des bouteilles d’eau et quelques boites de conserve. A la guerre comme à la guerre, ou plutôt à la course comme à la course. L’épreuve compte pour le championnat de France. Je sais que je ne me battrai pas pour la victoire de classe. Elle reviendra à un pilote d’Alfa Romeo 2000 GTV. Galopin, Rio, Bernier, Coquet, Fonteneau seront vraisemblablement en tête de la catégorie. A moins que des gars venus d’autres régions viennent se mêler à la lutte ou que des Ford Escort 2000 RS, par exemple celle de Jouan, créent la surprise. Quant au groupe 1, il reviendra probablement au très rapide Jacky Ravenel qui vient de gagner le groupe 2 au Mans sur la BMW 30 CSL qu’il partageait avec son frère Jean-Louis et Jean-Marie Detrin. Ma vaillante Ascona SR strictement de série à part ses amortisseurs De Carbon piste ne risque pas d’inquiéter les ténors du groupe. De toute façon, je suis là pour apprendre, progresser, observer ce que font les tout meilleurs, améliorer mon pilotage.
Les essais du samedi après-midi se passent plutôt bien. Le tracé de Pouillé commence par une longue descente. Je n’ai pas l’impression de ramer faute de chevaux comme quelques semaines plus tôt aux M d’Avranches où j’avais en outre subi un souci de carburateur qui déjaugeait dans de gros appuis. Je prends beaucoup de plaisir à piloter. A défaut d’inquiéter les gros bras et leurs Alfa, je devance deux autres pilotes qui roulent aussi sur des Opel groupe 1, l’un sur Ascona SR, l’autre sur Kadett GTE.

Joël – Moullé – Barquette-HM – 1976 – Pouillé-les-Coteaux – Photo-Thierry-Le-Bras
Je commence à me faire des copains dans le milieu. En soirée après les essais, nous opérons une petite mise en scène avec Joël Moullé, Le concurrent participant à la course n’est pas celui qu’on croit à première vue sur la photo. Le pilote, Joël, c’est celui qui reçoit l’autographe. Celui qui est assis dans le baquet de la barquette HM assurait l’assistance. Petit clin d’œil à nos amis qui se dévouaient à nos côtés et sans qui rien n’aurait été possible.

Thierry-Le-Bras – Opel-Ascona-SR – – 1976- Pouillé-Les-Coteaux – Photo-Photo-Actualité
Le lendemain, jour de la course, tout commença bien. Il faisait très chaud dans l’auto. Une montée en côte dure moins longtemps qu’un relais aux 24 Heures du Mans. C’est supportable. Je pars le couteau entre les dents. Je passe à la limite un gauche dans la descente où des concurrents ont laissé des caisses au fil des éditions. J’ai dû frôler les bottes de paille de très près avec l’aile arrière. Sans perte de temps. J’entame la remontée, une enfilade qui me plait bien. Les gravillons font du bruit sous les aies. Je reste sur la bonne trajectoire, d’un appui sur l’autre. Le pourcentage de la montée devient gênant sur la dernière partie de l’épreuve. Les chevaux manquent. Je sais que je ne taperai pas les Alfa, mais pas question qu’une des Opel moins de 2 litres pilotées par un des autres jeunes me passe devant ! Personne ne doit faire mieux avec une voiture comparable.
J’entre dans le dernier virage, Un droite. Sans doute, sûrement un peu fort, tout au moins compte tenu des circonstances. Le goudron fond, ou en tout cas ne présente plus la même adhérence sous la température extrêmement chaude. Je sous-vire. Rien de très spectaculaires. Assez cependant pour ne pas rester sur la trajectoire qui se rapprocherait des bottes de paille placées devant un rail de sécurité à l’extérieur en fin de courbe sans les toucher. J’essaie de maintenir l’auto. En vain. Je touche légèrement les bottes avec l’avant gauche. L’auto se freine et s’arrêtera dessus. J‘ai lâché le volant trop tard et encaissé un retour qui m’a fait mal au pouce et au poignet. Rien de très grave. L’Opel est solide. L’aile avant gauche et le spoiler sont tordus. Le demi-train avant gauche aussi. L’Ascona SR ne roule plus. Je reviendrai la chercher le lendemain soir avec mon père en utilisant une R16 et un plateau d’emprunt. Ce serait la dernière course de l’Ascona. Elle reprendrait bientôt sa vie de voiture de tourisme. Pas une vie de tout repos malgré mon attachement à elle, J’ai adoré cette voiture avec laquelle j’ai partagé des moments qui ont compté dans ma vie.

Thierry-Le-Bras – VW-Golf-GTI – 1977- Pouillé-Les-Coteaux – Photo-Photo-Actualité
Joël Moullé comme moi sommes revenus sur cette épreuve de Pouillé les Coteaux en 1977. Joël y a signé une superbe performance : 2nd du groupe 6 derrière Dominique Lacaud avec sa baquette 1300 ! Quant à moi, j’étais également satisfait de mon résultat. Si ma brave Opel Ascona SR m’accompagnait toujours dans mes trajets quotidiens, elle servait aussi de voiture tractrice les week-ends de course pour amener la Golf GTI groupe 1 avec laquelle je pouvais me battre pour les victoires de classe. Objectif atteint à Pouillé, 1er des 1300 – 1600 au terme d’une course très disputée !
Je conserve des souvenirs extraordinaires de cette époque. Le temps des copains. L’équipe constituée à partir de 1977. Nous vivions encore dans un tourbillon d’enthousiasme et de confiance dans l’avenir que les nouvelles générations imaginent difficilement. La course n’atteignait pas les coûts faramineux qui finiraient par décourager beaucoup de pilotes amateurs et la rendre difficilement compatible avec une activité professionnelle pour ceux qui ne travaillaient pas dans le milieu automobile.

BMW-2002-groupe-2- 1976 -Saumur-Saint-Hilaire – Photo-Thierry-Le-Bras
La canicule prit fin avec l’arrivée de l’automne. Les dernières épreuves de la saison se déroulèrent dans des conditions météorologiques plus normales.
Objectivement, le paradis n’existe pas. Pas sur terre en tout cas. Tout le monde ne débordait pas d’enthousiasme à la fin de l’été 1976. L’orage avait grondé au sommet de l’État. Jacques Chirac, Premier ministre, et Valery Giscard d’Estaing, Président de la République, n’entretenaient pas les meilleures relations. Le 24 août, le Premier ministre démissionnait. Raymond Barre le remplaça. La fiscalité pressait déjà le contribuable comme un citron. Un impôt sécheresse destiné à aider les agriculteurs qui avaient besoin de la solidarité nationale était évoqué par le Chef de l’État dès le 21 août. Il prendrait la forme d’un supplément de 10% pesant sur les contribuables dépassant un seuil de revenus.
Outre le cinéma, Jean Gabin nourrissait une passion profonde pour l’élevage. Il avait investi une grande partie de son patrimoine dans un domaine en Normandie, « La Pichonnière ». Ses voisins ne l’accueillaient pas très bien. Il avait dû faire face à une manifestation de jeunes agriculteurs qui se servirent de sa notoriété dans le but de médiatiser leurs difficultés. L’homme, un dur à cuire, ne s’était pas laissé décourager. Jusqu’au jour où le président de la FNSEA asséna sur un plateau de télévision un jour d’octobre 1976 que lui, Jean Gabin, ne toucherait pas l’indemnisation financée par l’impôt sécheresse. Le président de syndicat deviendrait plus tard secrétaire d’État. Les communicants usant de leurs talents dans la sphère politique usaient déjà de stratégies hypocrites, dont la diversion et la désignation de cibles. Ecœuré, déçu de se sentir rejeté par le monde paysan, Jean Gabin déciderait de vendre « La Pichonnière ». Il s’éteindrait quelques semaines plus tard, emporté par la leucémie.
Une histoire plus triste que San Francisco Circus, l’album des aventures de Michel Vaillant publié en 1976, d’abord dans le journal de Tintin puis par les Éditions du Lombard.
A suivre…
QUELQUES LIENS
DESIGNMOTEUR présente la Megane RS Trophy Châssis Cup, un monstre digne de l’enthousiasme automobile des seventies https://gotmdm.com/auto/2018/07/megane-rs-trophy-chassis-cup-300ch-tech-f1/
Récit et photos des 24 Heures du Mans 1976 http://circuitmortel.com/2016/06/24-heures-du-mans-1976-quelques-souvenirs-photographiques/
1976, le temps de mes premiers engagements en course de côte http://circuitmortel.com/2016/03/premiere-course-de-cote-a-saint-germain-sur-ille-2/
Une rivalité exacerbée sur la piste et en dehors http://circuitmortel.com/2016/08/la-course-de-cote-un-sport-de-combat/
Le Mans, symbole absolu de la course automobile https://bit.ly/2O9lh8M
Thierry Le Bras