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La Triumph Spitfire faisait partie du paysage automobile en 1968

50 ans déjà… L’automobile a changé. La société ne la voit plus de la même manière. Les autophobes ont pris le pouvoir. Ils s’acharnent contre elle avec une obsession aberrante, comparable à celle que mettaient en 1968 les Shadocks à pomper du matin au soir.

La jeunesse des générations de ceux qui ont connu mai 1968 s’est envolée. Les 30 glorieuses et le tourbillon des sixties ont cédé la place à une société déprimée. Que dire des libertés ? Malgré la dictature de la bien-pensance universelle et du politiquement correcte, personne n’a encore réussi à nous empêcher de laisser nos imaginations voyager dans le temps, nous embarquer à bord de voitures joyeuses, ludiques, festives. Pas des machines grises vendues avec bonus énergétique parce qu’elles ne pollueraient pas. Non, des sportives insolentes, agressives, belles à se damner, des voitures à vivre avec les copains, à draguer, à se prendre pour Pedro Rodriguez, Bruce McLaren, Jochen Rindt, Timo Makinen, Vic Elford…

Triumph-Spitfire- 1 -2015 - Saint-Malo - Photo-Thierry-Le-Bras

Triumph-Spitfire- 1 -2015 – Saint-Malo – Photo-Thierry-Le-Bras

La Triumph Spitfire n’est pas née en 1968 comme la Citroën Méhari ou la Ferrari 365 GTB/4 Daytona. Apparue six ans plus tôt, elle a eu le temps de conquérir une place de choix auprès des amateurs de petits roadsters abordables, particulièrement les jeunes. Elle jouira d’une belle longévité et sera produite jusqu’en 1980.

Une voiture née pour faire planer la jeunesse

Nous sommes en 1962. Françoise Hardy chante Tous les garçons et les filles de mon âge, Brigitte Bardot La Madrague, Claude François Belles, Belles, Belles, Sylvie Vartan Le locomotion, Johnny Hallyday L’idole des jeunes… Les jeunes justement ne veulent pas encore twitter, ils préfèrent chanter à tue-tête Laissez-nous twister avec Johnny ou bien Dick Rivers et Les Chats sauvages.

Triumph-Spitfire- 2 -2015 - Rennes - Photo-Thierry-Le-Bras

Triumph-Spitfire- 2 -2015 – Rennes – Photo-Thierry-Le-Bras

Triumph lance une petite sportive qui va faire grand bruit, comme son moteur. Le design est confié à l’italien Giovanni Michelotti. Le carrossier était déjà l’auteur des lignes de la Triumph Hérald. Il avait également apporté son talent à des modèles qui restent dans les mémoires, les BMW 700 et 1500, le cabriolet Alpine A 106… Le résultat de sa nouvelle collaboration avec Triumph sera un roadster élégant, typiquement anglais, avec un long capot qui s’ouvre comme celui d’une Type E, une capote pas toujours étanche mais séductrice, un joli tableau de bord en bois. Le moteur de 1147 cm3 développe 61 ch. La machine ne dépasse pas les 145 km/h. L’essieu arrière rigide ne brille pas par sa rigueur. Qu’importe ? Son look assure un succès commercial et médiatique considérable. Elle aidera Triumph à sortir d’une situation financière difficile.

En 1964, la Spitfire laisse place à la Spitfire MKII. Elle gagne 6 chevaux et 8 km/h. Autant l’avouer, la Spitfire ne rivalise toujours pas en performances pures avec les R8G, Lotus Elan, Cortina Lotus, Matra Jet, Fiat Abarth, Alpine, Alfa Roméo Giulia, Cooper S ou DS 21. Mais elle plait.

Triumph-Spitfire- 3 -2015 - Rennes - Photo-Thierry-Le-Bras

Triumph-Spitfire- 3 -2015 – Rennes – Photo-Thierry-Le-Bras

Comme le glorieux chasseur dont elle reprend le nom, elle enchante les sens. Replaçons-nous dans le contexte du début des années soixante. La fin de la seconde guerre mondiale n’est pas si éloignée. Les acheteurs potentiels de voitures de sport ont connu la guerre, au moins en tant qu’enfants aussi terrorisés que les adultes par les bombardements et les troupes ennemies. L’avion Spitfire, cracheur de feu, était un chasseur monoplace conçu pour les besoins de la Royal Air Force. Il participa à toutes les grandes batailles et contribua à la victoire des alliés. La référence à une machine volante militaire pilotée par des héros qui prenaient de grands risques afin de  chasser l’envahisseur conférait un prestige supplémentaire au roadster anglais.

Triumph-Spitfire- 4 -2015 - Rennes - Photo-Thierry-Le-Bras

Triumph-Spitfire- 4 -2015 – Rennes – Photo-Thierry-Le-Bras

Le moteur de la Triumph Spitfire produit des vrombissements superbes qui la font passer pour un authentique bolide. Ses formes en mettent plein les yeux aux copains, aux voisins, aux badauds, et surtout aux filles. Son pilotage produit des sensations fortes, d’autant que la belle possède son caractère et ne laisse pas facilement son conducteur mener la danse. Mais elle sait vite se faire pardonner. La Spitfire, c’est le bonheur absolu cheveux au vent, le piège à filles idéal, ou encore l’arme de séduction de la jeune femme qui vit à 100 à l’heure sur les traces de Françoise Sagan. La Triumph Spitfire, c’est la voiture Nouvelle vague par excellence. Le rêve des teen-agers, la machine de laquelle ils disent « j’inviterai la belle fille à monter dedans ». En plus, elle affiche un tarif bien plus raisonnable que les vraies bêtes de course, ces machines qui peuvent s’aligner avec des chances de succès en course de côte, en rallye, voire à Montlhéry ou à Charade, mais qui exigent de leurs admirateurs des portefeuilles plus épais. Alors, forcément, la recette alléchante mijotée par Triumph trouve sa clientèle.

Triumph-Spitfire- 5 -2015 - Rennes - Photo-Thierry-Le-Bras

Triumph-Spitfire- 5 -2015 – Rennes – Photo-Thierry-Le-Bras

Elle continuera à évoluer. Des versions MKIII et MKIV verront le jour. Cette dernière se différenciera de ses aînées par un parechoc avant plus haut, la suppression de la grille de calandre ainsi qu’un arrière plus plat ressemblant à celui de la Stag. Le moteur gagnera de la cylindrée (jusqu’à 1500 cm3) et développera 71 cv. La Spitfire connaîtra une belle longévité puisque sa production durera dix-huit ans. En 1980, sa carrière commerciale s’arrête. Le créneau des sportives est conquis par les petites bombes performantes et musclées telles que la Golf GTI, la R5 Alpine, l’Alfasud Ti, l’Autobianchi Abarth, la Sunbeam Ti, la Peugeot 104 ZS2…

Triumph-Spitfire - 6 -2017 - Saint-Malo - Photo-Thierry-Le-Bras

Triumph-Spitfire – 6 -2017 – Saint-Malo – Photo-Thierry-Le-Bras

La Spitfire offre encore une ligne attirante et le bonheur de rouler avec un sentiment de liberté absolue dès qu’il fait beau, mais elle ne suivrait pas les nouvelles athlètes sur une route de campagne. Elle continue maintenant à faire le bonheur des collectionneurs et reçoit immanquablement  un excellent accueil dans les manifestations d’anciennes. 315.000 Spitfire furent fabriquées. Près de la moitié (140.000) séduisirent des acheteurs américains. Une voiture de jeune plutôt mince, agile, en assez bonne forme pour ne pas souffrir d’une suspension inconfortable. Une auto joyeuse et vaillante en parfaite adéquation avec son époque.

Dans mon roman Vengeance glacée au coulis de sixties (cf lien en fin de note), un des personnages principaux, Christina, roule en Triumph Spitfire. L’action se déroule en 1966. La jeune femme, encore étudiante, conduit volontiers son roadster pieds nus, comme Françoise Sagan. Son frère Laurent et son cousin Philippe, encore collégiens, éprouvent une grande fierté quand elle les amène dans la Triumph. Une occasion inattendue lui permettra de s’intéresser à un pilote qui conduit des bolides beaucoup plus musclés sur les circuits les plus prestigieux dont celui du Mans…

Triumph-Spitfire- 7 -2015 - Rennes - Photo-Thierry-Le-Bras

Triumph-Spitfire- 7 -2015 – Rennes – Photo-Thierry-Le-Bras

Bien que conçue pour le plaisir des yeux et les balades coude sur la portière plutôt que les circuits et rallyes, la Triumph Spitfire a tout de même montré qu’elle avait du cœur et servait loyalement ses pilotes.

Pilotes et Spitfire chassent le chrono

En 1963, Triumph décide de promouvoir la Spitfire au moyen d’’engagements en compétition. Neuf modèles sont construits en moins de six mois. Ils seront engagés en catégorie « prototypes » et non en GT afin de disposer d’une plus grande liberté de développement du moteur. La puissance est portée à 98 cv au moyen d’une culasse spécifique et de carburateurs Weber 45. La caisse est un aluminium. Un hard-top profilé en fibre de verre reprenant la forme d’un projet de version GT élaboré par Michelotti améliore la pénétration dans l’air. Un capot équipé de phares fuselés concourt au même objectif. Ce package permet de dépasser les 210 km/h dans les Hunaudières. Triumph Standard engage quatre voitures au Mans. Trois se qualifieront pour la course. Une seule, celle de David Hobbs et Rob Slotemaker, terminera, à une honorable 21ème place.

Jean-Jacques Thuner- Simo Lampinen - Triumph-Spitfire - 1965 - Le Mans- Copyright-inconnu

Jean-Jacques Thuner- Simo Lampinen – Triumph-Spitfire – 1965 – Le Mans- Copyright-inconnu

En 1965, Triumph revient dans la Sarthe avec 4 Spitfire. Elles ont reçu de nouvelles culasses en aluminium, développent 109 cv, et atteignent les 230 km/h dans les Hunaudières. Homologuées cette fois en GT, elles sont confiées à des équipages de qualité :

– la 52 à David Hobbs et Rob Slotemaker ;

– la 53 à Peter Bolton et William Bradley ;

– la 54 à Claude Dubois et Jean-François Piot ;

– la 60 à Jean-Jacques Thuner et Simo Lampinen.

La 52 et la 53 sont contraintes à l’abandon. Mais la 60 et la 54 vont au bout. Certes, elles sont les dernières classées, terminant 13ème et 14ème du général. La 60 s’adjuge au passage la victoire en catégorie GT moins de 1300 cm3. L’important c’est de participer, de montrer sa vaillance sur une piste où s’affrontent les Ford, Ferrari, Cobra, Porsche 904 GTS, Alpine Renault, Iso Grifo, Alfa Romeo GTZ, Elva BMW, Rover BRM…

En 1966, une évolution de la réglementation ne lui permettra plus de courir au Mans.

Lampinen-Ahava - Triumph-Spitfire - 1975- Rallye-Monte-Carlo -copyright-inconnu

Lampinen-Ahava – Triumph-Spitfire – 1965- Rallye-Monte-Carlo -copyright-inconnu

La Spitfire courut également en rallye. Elle joua ainsi un rôle de voiture école avec des amateurs qui l’engagèrent dans toutes les catégories. Notons que Christine Dacremont, future pilote du Team Aseptogyl qui disputera plus tard quantité de grandes épreuves dont le Rallye Monte-Carlo, le Tour Auto, Le Mans et le Dakar, commença sa carrière automobile en course de côte et en rallye au volant d’une Triumph Spitfire (saison 1970).

La Spitfire fit couler dans ses durites l’adrénaline  des épreuves les plus renommées. Slotemaker et Hunter la hissent à la 10ème place au général (et 1ère de sa classe) au Tour Auto 1964. Une performance d’autant plus méritoire que le haut du classement est monopolisé par des Ferrari GTO et GT, des Porsche 904 GTS et une Alfa Romeo TZ. Début 1965, le même Rob Slotemaker, navigué par Alan Taylor, se classera 14ème du Monte-Carlo. Sur une autre Spitfire, Simo Lampinen et Jirki Ahava finissent 24èmes. Les deux Triumph arrivent 2nde et 3ème de leur classe.

La GT6, une GT au look de Spitfire

Elle emprunte globalement le dessin des Spitfire développées pour la compétition. Il ne s’agit donc plus d’un roadster mais d’un coupé fatsback. Son moteur 6 cylindres en ligne de 1998 cm3 développe 105 cv de série. Sa vitesse de pointe atteint 177 km/h. Elle sera produite de l’automne 1966 à 1973 avec différentes évolutions moteur et carrosserie. Contrairement à la Spitfire, elle ne disputera pas Le Mans. Sa production en série n’a d’ailleurs pas débuté au moment de l’édition 1966.

Hervé Skupski - Triumph-GT6 - 1972- CC-Saint-Germain-sur-Ille - photo-Thierry-Le-Bras

Hervé Skupski – Triumph-GT6 – 1972- CC-Saint-Germain-sur-Ille – photo-Thierry-Le-Bras

J’ai eu l’occasion de découvrir une GT6 engagée à Saint-Germain – sur – Ille en 1972. Le souci d’efficacité guide généralement les pilotes vers le choix des machines les plus performantes dans leur catégorie. En GT moins de 2 litres, les Alpine dictaient leur loi à la concurrence. Mais de temps en temps, un pilote choisit une voiture très différente des autres. Parfois par amour de la marque, parfois parce qu’il travaille dans une concession ou chez un agent, de temps en temps parce qu’un sponsor l’exige, souvent parce qu’il a trouvé sur le marché de l’occasion une auto compatible avec son budget.

Cet exemplaire ne devait pas être toute jeune. Il arborait encore l’ancien dessin de l’arrière et de la calandre tout proche des Triumph Spitfire engagées au Mans en 1965. Au volant de ce modèle qui avait abandonné le vert anglais cher à Triumph pour le bleu France, Hervé Skupski se classa 11ème du groupe 4. Même si l’auto ne réalisa pas un temps canon, c’était sympa de voir cette machine originale en piste. Je ne pouvais pas la laisser passer sans appuyer sur le déclencheur de l’appareil photo. D’autant que mon père, alors propriétaire d’une Opel Manta 19 SR qu’il allait bientôt changer pour une Alfa Romeo 2000 GTV adorait cette Triumph et qu’elle aurait fait partie de ses choix potentiels si elle avait disposé de places arrière (ce qui était impossible sans sacrifier son design, il est vrai).

D’autres Triumph connaîtraient de plus belles carrières sportives, les Dolomite Sprint, les TR7. Il faudrait juste patienter quelques années.

QUELQUES LIENS

DESIGNMOTEUR présente la moto Triumph Bonneville http://www.designmoteur.com/2015/10/triumph-bonneville-t120/

La Triumph Dolomite Sprint parmi les voitures qui animèrent les course de côtes de 1976 au début des années 80 http://circuitmortel.com/2017/03/cinq-voitures-qui-ont-anime-les-courses-de-cotes/

Christina, la jeune femme qui roule en Triumph Spitfire dans un polar automobile http://amzn.to/1nCwZYd

Sixties, le temps de l’auto-école en cabriolet anglais et avant l’âge http://circuitmortel.com/2015/12/lauto-ecole-en-lotus-elan-et-avant-lage/

Abba, un groupe mythique qui a soutenu un pilote automobile https://bit.ly/2FJliLf

Thierry Le Bras

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