Partager la publication "1978, Didier Pironi vainqueur au Mans avec Renault Alpine !"
Didier Pironi a déjà participé deux fois au Mans, la première sur Porsche 934, la seconde avec le proto Alpine aux couleurs Bendix qui avait servi de laboratoire à l’équipe. Cette fois, il vient pour gagner. Il fait équipe avec Jean-Pierre Jaussaud, un papy de 41 ans qui fait de la résistance acharnée.
Didier Pironi vise avant tout la F1. En 1978, il vient de débuter dans la discipline reine et a très vite marqué son premier point (rappelons-le, seuls les six premiers se voyaient alors attribuer des points) au volant d’une Tyrrell qui ne fait pas partie des meilleures monoplaces du plateau.

Pironi-Jaussaud – 1978 – Le-Mans
Pilote complet, éclectique, remarquablement intelligent, il sait ce que rouler au Mans peut apporter au plan de l’expérience, des contacts avec les gros teams, de la notoriété. Logique donc de le retrouver chez Renault qui s’engage en F1 avec un programme de développement du moteur turbo auquel il croit. Patrick Depailler, son équipier chez Tyrrell, fait également partie des pilotes de la marque au losange. Comme d’autres pointures françaises de l’époque, Jean-Pierre Jabouille, Jean-Pierre Jarier, les rallymen Guy Fréquelin et Jean Ragnotti. Son demi-frère José Dolhem, initialement annoncé sur une Porsche 934, sera finalement appelé par Gérard Larrousse, non aux côtés de Didier et Jean-Pierre Jaussaud, mais sur la voiture des rallymen.
Gros enjeu pour Renault
La firme se bat sur plusieurs fronts. En rallye, les R5 Alpine groupe 2 ont frappé un gros coup au Monte-Carlo en prenant la seconde et la troisième place derrière la Porsche 911 Almeras pilotée par Jean-Pierre Nicolas. Un challenge ouvert aux amateurs les incite à engager ce modèle en rallye. Jacques Panciatici, Christian Rio et quelques autres s’y mettront en valeur. Renault a préféré cette option au développement d’une version groupe 4 de son Alpine A310 V6 (cf liens en fin de note).
Renault engage une voiture en F1 pour Jean-Pierre Jabouille. Un pari audacieux car le constructeur cumule les difficultés. Renault fait débuter le moteur 1500 cm3 V6 turbo dans la discipline face aux fameux V8 Cosworth et au V12 Ferrari. Plutôt que se contenter d’un rôle de motoriste en confiant ses propulseurs à une écurie rodée au développement des châssis, les Français préparent et font rouler une voiture entièrement conçue dans leurs ateliers. Les débuts se révèlent difficiles, surtout en ce qui concerne la fiabilité des moteurs. Mais le potentiel est prometteur.

Jabouille-Tambay-Dolhem – Renault-Alpine-A-442 – 1976 – Le-Mans – Photo-Thierry-Le-Bras
Au Mans, la firme arrive avec un impératif de victoire. En 1976, la seule voiture engagée avait signé la position de pointe et réalisé un beau début de course avant d’abandonner à la huitième heure, piston crevé. L’année suivante, les trois machines préparées par Renault Sport ont renoncé sur casse moteur, laissant la victoire à Porsche. Quant à la voiture laboratoire aux couleurs Bendix engagée par de Chaunac pour Pironi – Arnoux – Fréquelin, elle a pris feu dès le premier tour, ne laissant à Didier qu’une solution, s’arrêter et s’extirper au plus vite de son baquet. Patron du service compétition, Gérard Larrousse a disposé de gros moyens pour préparer Le Mans. Essais sur un circuit d’endurance aux États-Unis, tests au banc moteur, rien n’a été négligé dans le souci de fiabiliser la mécanique. Le team a également travaillé sur les boites de vitesses (trop faibles en 1977), le châssis et l’aérodynamique.

Pironi-Jaussaud – Alpine-A-442B (avec-bulle-aéro) – 1978- Le-Mans
En juin, Renault arrive dans la Sarthe avec quatre voitures officielle. Une A 443 disposant d’un moteur V6 2138 cc Turbo de 520 cv. Elle sera confiée à Depailler et Jabouille (N° 1). Trois versions équipées d’un V6 1997 cc Turbo de 500 cv pour Pironi – Jaussaud (N° 2), Jabouille – Bell (N° 3), et Ragnotti – Fréquelin – Dolhem (N° 4). Les voitures N° 1 et 2 reçoivent une bulle aérodynamique au-dessus du cockpit qui leur procure un avantage de vitesse de pointe de 8 km/heure dans les Hunaudières. La N° 2 de Didier Pironi et Jean-Pierre Jaussaud est dénommée A 442B tandis que les N° 3 et 4 sont appelées A 442. Porsche aligne trois 936 F6 de 2140 cc développant 580 cv en version qualifications avec une pression de turbo de 1,5 qui sera ramenée à 1,4 pour la course. Côté pilotes, Ickx – Pescarolo, Wollek – Barth et Gregg – Haywood entendent mener la vie dure aux Renault. Une monstrueuse 935 groupe 5 propulsée par un moteur F6 2992 cc Turbo de 720 cv pourrait se mêler à la lutte. Stommelen et Schurti partageront son volant. Deux Mirage à moteurs Renault conduites par Laffite – Schuppan et Leclere – Posey font figure d’outsiders. Un plateau alléchant qui laisse présager une bataille royale.
Ickx décroche la pole avec un chrono de 3’ 27’’ 6 sûrement réalisé avec une pression de turbo bien supérieure à la configuration course. Depailler signera un 3’ 28’’ 4 et partagera la première ligne avec la Porsche. Second des Renault avec un temps de 3’ 35’’ 8 Didier place l’A 442B en cinquième position. Porsche confirme sa force et sa sérénité face au challenger français.
Finalement, la bulle aérodynamique a été enlevée sur l’A443 de Patrick Depailler et Jean-Pierre Jabouille car elle engendre des conséquences pénibles pour les pilotes. Le soleil qui tape sur le plexiglas transforme l’habitacle en étuve, d’autant que cette édition des 24 Heures va se courir sous un soleil de plomb. Didier, lui, veut la garder sur la N° 2. Qu’importe la pénibilité pourvu qu’elle améliore la performance.
« Il devait faire 50° dans le cockpit, sans compter la combinaison »
Jean-Pierre Jaussaud
Un tableau de marche parfait
A seize heures le 10 juin, Raymond Poulidor abaisse le drapeau qui libère la meute de cannibales prêts à dévorer leurs adversaires.

24-Heures-du-Mans-1978-Le-départ
Jean-Pierre Jabouille prend le meilleur. Il boucle le premier tour en tête devant Ickx et Pironi. Dès le tour suivant, la Porsche de Ickx s’arrête au stand, bientôt imitée par celle de Haywood. Les 936 seraient-elles affectées par un mal rédhibitoire ? En attendant la réponse, les trois Renault Alpine de Jabouille, Pironi et Jarier mènent le bal ! Après 51 minutes de course, la N° 1 rentre au stand à son tour, victime de vibrations. Elle y reviendra à plusieurs reprises jusqu’à ce que le montage de gommes différentes résolve le problème. Les Porsche sont rentrées dans la danse même si le temps perdu au stand les a fait plonger dans le classement. Didier Pironi et Jean-Pierre Jaussaud sont les bénéficiaires du début de course agité. Premiers après une heure de course, ils mènent toujours l’épreuve à 20 heures le samedi. Jean-Pierre et Didier ont adopté un rythme défini. Didier roulera en 3’35’’ au tour, et Jean-Pierre en 3’38’’. Mais attention, l’A 443 débarrassée de ses problèmes de vibrations fonce désormais comme une fusée et remonte vers la tête. Elle reprend le commandement avant 23 heures. Après les aléas des premières heures, Porsche a modifié ses équipages. Ickx a rejoint Bob Wollek sur la 936 N° 6, mieux classée que sa monture d’origine.

Nuit-Mancelle – Courbe-Dunlop – Photo-Thierry-Le-Bras
A 23 heures 45, l’équipage de la N° 2 connaît une frayeur. Jaussaud subit un blocage de roue qui provoque un plat sur un pneu. Il rentre au ralenti. Les mécaniciens se rendent compte que les plaquettes sont usées jusqu’au métal du côté droit et que les pistons de freins de la roue sur laquelle est intervenu l’incident sont grippés. L’A 442B reste 7 minutes au stand. Les cartes sont-elles rebattues au tiers de la course ? Peut-être, car à ce moment les pilotes de l’A 443 N° 1 croient à leur bonne étoile. « La voiture est extraordinaire, se réjouit Jean-Pierre Jabouille. S’il ne nous arrive rien de fâcheux, on est intouchables, Patrick et moi ». La N° 2 a rétrogradé à la 4ème position, précédée par la N° 1 de Jabouille – Depailler, la Porsche maintenant partagée par Wollek – Barth – Ickx et l’A 442 de Bell – Jarier.
En course automobile, rien n’est jamais acquis. A 2 heures 30, Bell arrête sa Renault sur le circuit. La transmission n’a pas résisté. Il n’avait pas dissimulé ses inquiétudes avant de prendre son relais.
« Nous allons tous trop vite, nous comme Porsche. Ça ne pourra pas durer comme ça. »
Derek Bell

Pironi-Jaussaud- Alpine-A-442-B-1- 1978 – Le-Mans
Didier Pironi et Jean-Pierre Jaussaud retrouvent le podium provisoire. Vers 4 heures du matin, un changement des plaquettes et des disques s’impose à nouveau, sans incident particulier. La N° 2 reste 3ème et remonte sur la Porsche qui la précède. Un duel va-t-il s’engager pour la 2nde place ? Pas tout de suite en tout cas, car la Porsche de Ickx va s’arrêter au stand à cause d’un problème de boite de vitesses. Le changement du pignon de 5ème vitesse lui coûte 37 minutes. Deux Renault occupent les deux premières places du classement général. L’autre A 442 encore en course, la N° 4 alors pilotée par José Dolhem, a également connu des soucis de pignon de boite qui l’ont immobilisée une demi-heure au stand.
Coup de théâtre peu avant 10 heures. L’A 443 s’arrête à Mulsanne, moteur cassé. Didier Pironi et Jean-Pierre Jaussaud prennent la tête avec huit tours d’avance sur la première Porsche 936. Pas question de crier victoire. Il reste six heures de course et toutes les voitures de pointe ont connu leur lot de mésaventures.
Il fait chaud, très chaud. Jean-Pierre Jaussaud a confié à Martine Camus ses souvenirs de cette course.
« Didier ne mangeait pas, ou fort peu. Par contre, il avalait des litres d’eau. Lorsque je suis monté – ou plutôt descendu – dans la voiture, j’ai eu l’impression de glisser dans une baignoire tellement le siège était trempé ! Quant au volant, preuve que le garçon était costaud et qu’il y allait fort, la forme des doigts était incrustée dans le cuir… »
Jean-Pierre Jaussaud
Le pilote normand confirme aussi l’épreuve physique que représente Le Mans pour les pilotes
« Chaque fois que je descendais de voiture, j’allais manger. Un repas complet, arrosé éventuellement d’un verre de vin. J’ai malgré tout perdu 3 kg dans cette course. Pour dire à quel point ça pompait toute l’énergie. Didier, qui était mort à l’arrivée, avait fondu de 7 kg ! Incroyable ».
Jean-Pierre Jaussaud

Pironi-Jaussaud- Alpine-A-442-B-2 1978 – Le-Mans
S’il se donne à fond, transpire et perd du poids, Didier conserve toute son énergie et sa rage de vaincre. Marqué physiquement en sortant de l’Alpine en fin de matinée, il boit immédiatement de l’eau minérale et reste confiant. « Pas de problème, affirme-t-il. Pourvu que ça dure ».
Bob Wollek était un des équipiers de Didier deux plus tôt sur une Porsche 934 groupe 4, Associé cette fois à Jacky Ickx et Jurgen Barth sur le proto Porsche 936 qui occupe la seconde place, il espère sans doute un dernier retournement de situation.
Pour sa part, Jean-Pierre Jaussaud craint que la boite, qui craque, ne lâche avant la fin. A l’approche de l’arrivée, il souffre beaucoup de la chaleur et n’a pas envie de remonter dans la voiture. Il suggère à Gérard Larrousse d’appeler Didier par radio et de lui demander si les vitesses craquent lorsqu’il les passe et s’il se sent assez en forme pour garder le volant et le remplacer pour le dernier relais. Didier affirme que la boite ne craque pas. Et il est d’accord pour garder le volant. A 16 heures, il reçoit la récompense de ses efforts surhumains dans le cockpit surchauffé de l’A 442 B.

Pironi-Jaussaud – Renault-Alpine-A -442B – 1978 – Arrivée-Le-Mans
Didier Pironi titube lorsqu’il s’extrait de l’enfer du cockpit de l’Alpine. Il s’évanouit une première fois et fera un deuxième malaise sur le podium pendant la Marseillaise célébrant la victoire de l’équipe française. Qu’importe, Didier a remporté les 24 Heures du Mans. Il s’est révélé comme un champion au grand public. Désormais, toute le monde connaît son nom et l’associe à une grande victoire.
Plus tard, Didier témoignera de la difficulté de cette fin de course.
« Les trois dernières heures ont été un calvaire. La boite était très difficile à manier. J‘avais des crampes à la jambe droite et j‘ai été obligé, pendant plusieurs tours, d’accélérer avec le pied gauche dans la ligne droite, que ‘attendais avec impatience pour me détendre. J’étais pressé de franchir la ligne d’arrivée. »
Didier Pironi
Bain de foule et foule de conséquences
Le lendemain, les vainqueurs descendent les Champs-Élysées à bord de la voiture qu’ils ont menée à la victoire. Un parcours qu’ils finiront en remorque, car le moteur chauffe. Quant à Didier, une fois cette dernière cérémonie terminée, il va rendre son permis de conduire dont un radar trop bien caché le prive pour quelques jours.

Pironi-Jaussaud -Renault-Alpine-A-442-B – 1978- Champs-Elysées
Puis il rentre en clinique. Les conditions de course infernales dans l’habitacle surchauffé ont laissé des séquelles. Il en ressortira en pleine forme quelques jours plus tard, prêt à en découdre à nouveau dans le peloton de la Formule 1.

Didier-Pironi
Gérard Larrousse compte aligner deux monoplaces Renault en F1 dès 1979. Il engagerait volontiers Pironi dans l’écurie française au côté de Jean-Pierre Jabouille. Diidier qui croit au potentiel du team et a aimé son ambiance au Mans adhère au projet. Mais il lui faut l’accord de Ken Tyrrell avec qui son contrat court jusqu’à la fin 1979. Or, Oncle Ken n’a pas du tout envie de laisser sa pépite filer chez un concurrent. Didier ne pourra pas rejoindre Renault.
En 1979 justement, Porsche lui offre de piloter une 936 aux 24 Heures du Mans en compagnie de Jacky Ickx. Une superbe chance de briller à nouveau sur la piste mancelle d’autant que Renault a arrêté son programme en endurance après la victoire. Mais Ken Tyrrell oppose un nouveau veto. Ce sera une grande déception pour Didier.

Pironi-Quester-Mignot – BMW-M1 – 1980 – Le-Mans- Photo-Thierry-Le-Bras
Sans doute Oncle Ken n’a-t-il pas agi par malignité. Il entretenait une relation forte avec son pilote. Mais le patron de l’Écurie Tyrrell se souvient de l’énergie dépensée par Didier l’année précédente et de son séjour à l’hôpital. Il ne veut prendre aucun risque susceptible de compromettre sa participation dans les meilleures conditions au Grand-Prix de France, quinze jours après l’épreuve mancelle. Didier Pironi reviendra encore une fois au Mans, en 1980, au volant d’une BMW M1. Nous en reparlerons.
QUELQUES LIENS
DESIGNMOTEUR présente une page importante de l’histoire Alpine, la Berlinette http://www.designmoteur.com/2016/02/alpine-a110-heritage/
1976, Didier Pironi découvre les 24 Heures du Mans au volant d’une Porsche 934 http://circuitmortel.com/2016/06/1976-didier-pironi-decouvre-le-mans-au-volant-dune-porsche-934/
Le Mans 1976, quelques faits de course concernant Renault et les autres http://circuitmortel.com/2016/06/24-heures-du-mans-1976-quelques-souvenirs-photographiques/
1977, de l’A 310 V6 à la Renault du Mans http://circuitmortel.com/2016/02/guy-frequelin-remporte-la-ronde-darmor-1977-sur-alpine-a-310-v6/
1978, Didier Pironi débute en F1 http://circuitmortel.com/2018/03/didier-pironi-a-debute-en-f1-en-1978-40-ans-deja/
Thierry Le Bras