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Une superbe BD sur les frères Rodriguez !

L’ouvrage dont je rêvais sur Pedro et Ricardo Rodriguez existe enfin. Un grand merci à son auteur, Christian Papazoglakis !

Je vais être franc avec vous, chers lecteurs. La nouvelle de la sortie de l’album Les frères Rodriguez dans la collection Plein Gaz des Éditions Glénat m’a rempli de bonheur. N’attendez pas de moi une objectivité froide et analytique dans les paragraphes qui suivent. Ricardo et Pedro représentent un de mes chapitres préférés dans la belle histoire du sport automobile. Mais vous pouvez me croire quand je vous affirme que l’album est réussi. Je ne l’aurais pas chroniqué s’il m’avait déçu tant j’aime ces deux frères pilotes hélas disparus très jeunes. Comme souvent, j’ai choisi des photos plutôt que des extraits de l’album pour illustrer ma chronique, dans le but de vous laisser le plaisir de découvrir les magnifiques dessins de l’auteur !

Ricardo-Rodriguez-et-Pedro-Rodriguez- Concentration

Ricardo-Rodriguez-et-Pedro-Rodriguez- Concentration

L’album commence par une scène familiale sous une nuit étoilée. Allongés sur le capot d’une berline américaine, Pedro et Ricardo rêvent de leurs futures victoires, de leurs futurs titres. Ricardo, le plus jeune, n’a pas encore 15 ans. Pedro, l’aîné de 23 mois, conduira l’attelage lorsqu’ils repartiront. Car la berline tracte une Porsche 550 RS. Les deux frères sont en route pour Miami. Ils vont courir à la Speed Week de Nassau 1957, Ricardo sur Porsche, Pedro sur une Ferrari 500 TR déjà arrivée aux Bahamas.

Ricardo ne jurait que par Porsche. Pedro rêvait de triomphes avec Ferrari. Leurs faits d’armes seraient magnifiques, mais pas toujours conformes à leurs attentes.

Deux frères

Si des pilotes méritèrent le qualificatif de baby-pilotes avant Jos Verstappen, ce furent bien Ricardo et Pedro Rodriguez. Pedro, l’aîné, commença à courir au volant d’une Jaguar XK 120 à l’âge de quinze ans.

Ricardo-Rodriguez - Porsche - RSK - 1960 - La-Habada

Ricardo-Rodriguez – Porsche – RSK – 1960 – La-Habada

Ricardo devint Champion des courses de voitures de tourisme au Mexique à quatorze ans. Avant ses seize ans, Ricardo participa aux 12 Heures de Sebring au volant d’une Porsche.

Ricardo et Pedro, deux frères animés par une rivalité exacerbée et un amour inconditionnel. Chacun a envie d’être devant l’autre. Mais ils veulent gagner ensemble en endurance. Si le team les sépare et ne les associe pas sur la même voiture, ils le vivent très mal. Lorsqu’un des deux ne roule pas ou abandonne, celui qui reste au bord de la piste s’identifie totalement à l’autre.

En 1958, la famille Rodriguez débarque dans la Sarthe. Une Ferrari TR 2 litres attend les deux frères qui sont prêts à en découdre sans complexes avec les Jaguar, Ferrari et Aston-Martin officielles, même s’ils savent que sur le papier, leur machine n’a aucune chance face aux plus grosses autos. Ricardo se voit interdit de départ. Trop jeune. Il n’a que seize ans. Son  frère envisage dans un premier temps de refuser de rouler sans lui. Mais Ricardo le pousse à participer, pour eux. Le Team Chinetti  associe Pedro à José Behra, le frère de Jean. En 1959, les deux Rodriguez sont de retour ensemble au volant d’une Osca 750 engagée par le NART. Ils mènent leur catégorie avant d’abandonner au début de la nuit. En 1960, Ricardo pilote à nouveau une Ferrari du NART. Associé à Pilette, il se classe second.

Ricardo-Rodriguez-Pedro-Rodriguez-Ferrari - 1961 - Le-Mans

Ricardo-Rodriguez-Pedro-Rodriguez-Ferrari – 1961 – Le-Mans

Et c’est ensemble que Ricardo et Pedro s’alignent sur la grille de départ en 1961 au volant d’une Ferrari TR/61 du North American Racing Team. Ricardo a dix-neuf ans, Pedro vingt et un. Face à eux, les Ferrari officielles de la puissante Scuderia. L’impensable se produit. La Ferrari privée des deux jeunes mexicains fait jeu égal avec la meilleure Ferrari officielle ! Les Rodriguez déchainent l’enthousiasme du public. La fête dure vingt-trois heures. Puis le moteur casse, contraignant Pedro et Ricardo à l’abandon après une course formidable. Dommage, le drapeau à damier n’était plus très loin. La machine officielle de Phil Hill – Olivier Gendebien file vers la victoire, débarrassée de toute concurrence.

Pedro-Rodriguez-et-Ricardo-Rodriguez- Ferrari-GTO - 1962 - Montlhéry

Ricardo-Rodriguez-Pedro-Rodriguez – Ferrari-GTO- – 1962 – Montlhéry

Mais 1961 restera tout de même une belle année pour les Rodriguez. Ils ont terminé deuxièmes aux 1000 kilomètres du Nürburgring, troisièmes aux 12 Heures de Sebring et ils remportent les 1000 kilomètres de Paris. Pedro et Ricardo rêvent de créer ensemble la Scuderia Rodriguez. Ainsi, ils pourraient échapper aux intrigues de l’univers Ferrari et aider d’autres pilotes mexicains.

Ricardo-Rodriguez- Ferrari-F1

Ricardo-Rodriguez- Ferrari-F1

Enzo Ferrari a remarqué le fantastique potentiel de Ricardo. Il le fait débuter en Formule 1 au sein de la Scuderia à l’occasion du Grand-Prix de Monza 1961. On a l’impression qu’à cette époque, Pedro se sacrifie pour son frère cadet. Il court au Mexique et aux USA, rejoint parfois Ricardo en Europe le temps d’une course en équipage, mais travaille surtout à la gestion des affaires familiales avec leur père. Les entreprises familiales ne permettent pas le financement de deux carrières au plus haut niveau. Pedro attend son heure. Il protège Ricardo, faisant passer les intérêts de son petit frère avant les siens. De son côté, le plus jeune des Rodriguez harcèle Enzo Ferrari afin qu’il engage son aîné dans l’équipe de F1. II veut absolument que Pedro dispose lui aussi d’une Ferrari au Grand-Prix du Mexique 1962.

1962 : comme l’année précédente, Ricardo et Pedro remportent les 1000 kilomètres de Paris. Une énorme déception l’attend. Enzo Ferrari n’enverra aucune monoplace au Mexique. Voulant absolument courir « son Grand-Prix », Ricardo loue une Lotus 24 à l’écurie de Rob Walker. Le prodige mexicain se tue le 1er novembre 1962 en essayant de décrocher la pole position. Il n’a que 20 ans. Une défaillance de la suspension arrière de sa Lotus est très probablement à l’origine de l’accident.  Ricardo n’aura ni le temps de revenir remporter le Mans avec son frère, ni celui de bâtir le palmarès que méritait son immense talent. Sa trajectoire s’est arrêtée aux essais du Grand-Prix du Mexique 1962. Dévasté, Pedro envisage de tout arrêter. La course sans son frère lui semble vide de sens.

Pedro seul contre tous

Les autres pilotes ont tous manifesté leur soutien à Pedro. Ils lui ont témoigné l’estime et la sympathie qu’il portait à Ricardo. Fangio lui a dispensé ses conseils. Finalement, l’aîné des Rodriguez va décider de continuer. « Que vaudrait ma vie si je renonce à honorer la mémoire de Ricardo sur la piste ? », déclare-t-il à ses parents dans l’album.

Pedro-Rodriguez- Portrait

Pedro-Rodriguez- Portrait

Au Mans 1963, pour la première fois dans l’histoire de l’épreuve, les voitures sont alignées au départ en fonction de leurs performances aux essais. Pedro signe la première pole position des 24 Heures du Mans. Pour Ricardo. Il reconnaît que parfois quand il courait avec son frère, il en gardait sous le pied pour ne pas le provoquer.

Christian Papazoglakis synthétise en trois dessins une suggestion fort intéressante émise par Jean Papon qui s’est intéressé de près à la carrière de Ricardo et Pedro. Jean Papon a effectué un voyage au Mexique sur les traces des frères Rodriguez et il a rencontré là-bas Carlos Jalife Villalon qui fut leur ami et leur consacra une remarquable biographie. « Une question me trottait dans la tête depuis longtemps, expose Jean Papon. A l’époque de leur carrière en duo, Ricardo était le plus rapide. Pourquoi ? C’est dans la culture mexicaine qu’il faut chercher la réponse. Dans la famille, le frère ainé s’occupe de son petit frère, le protège. Connaissant le bouillant caractère de son frère, Pedro roulait toujours en dessous de ses possibilités car il savait que Ricardo ferait tout pour aller plus vite. C’est l’unique raison. Quelque temps après la mort de Ricardo, Phil Hill s’est demandé pourquoi Pedro allait brutalement plus vite. La réponse est plus haut. Il n’avait plus la responsabilité de son frère. »

Les années qui suivent, Pedro prouve qu’il est le plus rapide des pilotes de Ferrari. Il s’énerve parfois des manigances de Dragoni et d’Enzo Ferrari qui préfèrent les pilotes italiens. Il regrette aussi de ne pas avoir d’équipier aussi performant que l’était Ricardo. Il réalise cependant de superbes performances et enrichit son palmarès de nouvelles victoires.

Pedro-Rodriguez - Ford-Mustang

Pedro-Rodriguez – Ford-Mustang

En 1967, il entre dans le club des vainqueurs de Grands-Prix en Afrique du Sud où il impose sa Cooper Maserati. Le reste de la saison se révélera moins satisfaisant. Ferrari ne l’engage pas en endurance malgré son podium aux 24 Heures de Daytona.  Son ami Lorenzo Bandini trouve la mort à Monaco. Il se blesse sérieusement lors d’une course de F2 en Sicile. Sa saison se termine prématurément. Des fêlures apparaissent dans son couple.

Pedro s’est forgé la réputation d’un pilote endurant, Il ne se contente pas des épreuves d’endurance ou de F1 et participe à d’autres épreuves dès qu’il en a l’occasion, y compris de longs rallyes et des courses de Nascar. Un avantage lorsqu’il s’agit de maintenir le rythme en endurance dans des conditions quelquefois pénibles.

Pedro-Rodriguez-et-Lucien-Bianchi - 1968 - Le-Mans

Pedro-Rodriguez-et-Lucien-Bianchi – 1968 – Le-Mans

En 1968, la Classique mancelle est décalée aux 27 et 28 septembre à cause des événements du mois de mai. Pedro Rodriguez pilote une Ford GT 40 du Team John Wyer. Il fait équipe avec Lucien Bianchi. Face aux GT 40, les Porsche 908 s’affirment comme de redoutables rivales. Les Alpine A 220 V8 3 litres et La Matra 630 V12 font figure d’outsiders. A 15 heures, Giovanni Agnelli, président du groupe Fiat, baisse le drapeau tricolore qui libère la meute des concurrents. La piste est trempée et la pluie menace de recommencer à tomber. En soirée, l’Alpine et les Porsche commencent à rétrograder. Les 908 n’ont pas encore fait leurs preuves sur 24 heures. Les Ford GT 40 bleu et orange de John Wyer pointent en tête du classement, devant la surprenante Matra V 12 de Henri Pescarolo et Johnny Servoz-Gavin. Pedro Rodriguez et Lucien Bianchi mènent une course sage et solide. Ils ne tombent pas dans les pièges pourtant nombreux de 24 Heures disputés sous la pluie. Au petit matin, ils sont les leaders de l’édition 1968. A 12 heures 20, un pneu de la Matra qui occupe la seconde place éclate dans les Hunaudières. La voiture bleue prend feu et s’immobilise sur le bord de la piste. La GT 40 de tête n’a plus de rivale. Seuls une sortie de piste ou un problème mécanique pourraient la priver de la victoire. En sport automobile, la première place n’est acquise qu’une fois le drapeau à damier franchi. Pedro Rodriguez le sait mieux que quiconque après son expérience de 1961. Cette fois, la machine qu’il partage avec Lucien Bianchi tient bon. A 15 heures, Pedro inscrit son nom au prestigieux palmarès des 24 Heures du Mans. « Cette victoire est pour Ricardo », rappelle son frère aîné après l’arrivée.

Vainqueur de la plus grande épreuve du monde d’endurance, Pedro n’oublie pas la F1. Comme d’autres pilotes surdoués, il ne disposera jamais de la meilleure monoplace au bon moment. Il montera cependant sept fois sur le podium et remportera une autre victoire sur un des circuits les plus durs, un juge de paix de 14 kilomètres à cette époque, le tracé de Spa. Ce sera en 1970, au volant d’une Yardley BRM.

Pedro-Rodriguez- Porsche-917 - 1971 - Le-Mans

Pedro-Rodriguez- Porsche-917 – 1971 – Le-Mans

Pedro a toujours souhaité gagner au Mans avec Ferrari. Lorsque la 917 apparaît, il songe au bonheur qu’elle aurait pu apporter à Ricardo. Lui préférerait s’aligner au volant d’une Ferrari 512. Las des intrigues incessantes de la Scuderia, il décide finalement de signer avec John Wyer. En 1970 et 1971, il pilotera des Gulf Porsche. Une très belle moisson de victoires et de podiums. Pourtant, Pedro est souvent pénalisé au sein du team par son association à des pilotes moins rapides que l’équipier de Siffert, son principal rival. Il s’affirme néanmoins comme le meilleur de l’équipe, alignant les relais, signant des performances extraordinaires. Il déplore de ne pas rouler avec un équipier aussi rapide que Ricardo… Pedro et Ricardo ensemble sur une 917, un rêve pour leurs supporters, et un cauchemar pour leurs adversaires. Qui aurait pu les battre à part peut-être une casse mécanique ?

Ironie du sort, Pedro pilota une Ferrari 512 M dans une épreuve hors championnat au Noisring en Allemagne. C’était le 11 juillet 1971, un mois après sa dernière apparition au Mans. La Ferrari heurta un mur et s’embrasa. Pedro avait trente et un ans lorsqu’il rejoignit son frère Ricardo au paradis des pilotes.

Couverture- Les-frères-Rodriguez- Editions-Glénat

Couverture- Les-frères-Rodriguez- Editions-Glénat

Comme je le confiais au début de la chronique, j’ai découvert l’album Les frères Rodriguez avec une émotion particulière. J’espère vous avoir sensibilisés à leur histoire avec cette chronique. Ne croyez surtout  pas que je vous ai tout dit. L’album de Christian Papazoglakis vous en apprendra encore beaucoup sur leurs existences et leurs personnalités. En outre, chers amis amateurs de belles automobiles, vous serez forcément enchantés par les superbes dessins des voitures magiques qu’ont pilotées ou affrontées les deux frères. Amoureux de Porsche, de Ferrari, de Cooper, de Rolls, de BRM, vous ne pouvez pas manquer cet album. D’autres surprises vous y attendent. Saviez-vous par exemple que Ricardo et Pedro avaient piloté des Dauphine ? Pas moi, je l’ai appris dans l’album.

Lorsque j’étais adolescent, un grand poster d’une Porsche 917 pilotée par Pedro Rodriguez ornait un des murs de ma chambre. Je rêvais de piloter en course un jour – projet réalisé, en amateur – et je me disais qu’à l’âge où je rédigeais des dissertations de français puis de philo, où je planchais sur des devoirs de maths ou de sciences économiques (préparation d’un bac B), ces deux garçons étaient déjà capables de rouler sur le circuit des 24 Heures du Mans avec les plus grands. La course automobile payait un lourd tribut à la performance en ce temps-là. Beaucoup de mes héros d’enfance sont morts trop tôt. L’album évoque certains de ces champions décédés, Bandini, Clark, Spence, Scarfiotti, Schlesser, le Comte Von trips, Giunti… Les vies de pilotes ressemblent à celles de héros de romans, trépidantes, pleines de suspense et d’actes de bravoure. Malheureusement, la course n’est pas une fiction où l’auteur peut toujours sauver son héros.

QUELQUES LIENS

Un compte Facebook dédié à Pedro et Ricardo Rodriguez https://www.facebook.com/F1HnosRodriguez/?fref=ts

DESIGNMOTEUR présente un roman aux 24 Heures du Mans dont des scènes rendent hommage aux frères Rodriguez http://www.designmoteur.com/2014/12/roman-polar-passion-automobile/

1969, apparition de la Porsche 917 http://bit.ly/1TidL9Q

Thierry Le Bas

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