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Hockenheim, avant, au temps de Didier Pironi… (1/2)

Un circuit, un stadium, des souvenirs des courses et de Didier Pironi…

Dans mon esprit, le circuit allemand s’associe à des contrastes. Côté sombre, Hockenheim, c’est la mort de Jim Clark en 1968. C’est l’accident de Didier Pironi en 1982. Donc des accidents dramatiques pour deux pilotes qui figurent parmi mes préférés de toute l’histoire du sport automobile.

Didier-Pironi - 1982 - Monthléry -Photo-Ludovic-Rougier

Didier-Pironi – 1982 – Monthléry -Photo-Ludovic-Rougier

Mais Hockenheim représente aussi les premières fois où j’ai assisté à des Grands-Prix au bord de la piste. C’était en 1980 et 1981. Un choix dicté par le calendrier, je l’avoue. La course se déroulait début août et correspondait à mes vacances. Je pouvais arriver avant les premiers tours de roues des bolides et suivre les essais et courses dans chaque discipline au programme du week-end.

Hockenheim, un bon choix

Le site m’a séduit. Il présente pour un Français l’avantage d’une localisation proche de nos frontières. A l’époque, il est vrai, Ecclestone ne sévissait pas à la tête de l’organisation de la Formule 1et la plupart des Grands-Prix avaient lieu là où les écuries sont traditionnellement installées, en Europe.

Le stadium d’Hockenheim présente de nombreux avantages. D’une part, ses tribunes implantées autour d’une partie du circuit offre la faculté de suivre les voitures pendant plusieurs virages à chaque tou. Et les vrombissements des moteurs résonnent tel un concerto magique dans la vaste enceinte de la symphonie mécanique. Un ravissement pour les oreilles. Un spectacle son et couleurs de carrosseries fendant l’air avec l’autorité des maestros de la vitesse.

Hockenheim - Stadium - 1980 -Photo-Thierry-Le-Bras

Hockenheim – Stadium – 1980 -Photo-Thierry-Le-Bras

Ensuite, Hockenheim présentait une série de courses particulièrement intéressantes en plus de a F1. J’y reviendrai prochainement. Enfin, une atmosphère sympathique régnait autour du circuit grâce à l’ouverture d’un camping sur le site. Un peu comme au Mans. Des passionnés venus de toute l’Europe campaient à quelques dizaines de mètres de la piste. J’y ai vu gens de toutes sortes. Des Allemands montant des tentes canadiennes à côté de leurs voitures de tourisme dont certaines fort performantes, Porsche 930 ou Mercedes Cabriolets, des Anglais tractant une grosse caravane derrière leur Jaguar, des Français en 2cv, 505, R16, deux jeunes Italiens (des frères) venus en Fiat Uno supporter Ferrari. Je l’aurais parié avant même d’échanger avec eux (en anglais, seule langue que nous parlions – un peu – en commun). Pas besoin de posséder le sens de la déduction de Sherlock Holmes ni l’intuition de Maigret. Mes sympathiques voisins avaient tous les deux des drapeaux Ferrari sur les épaules dès qu’ils quittaient leur tente pour se diriger vers les tribunes ! Je n’ai rencontré que des gens super sympathiques à ce camping. Il est vrai qu’un univers de passion commune partagé pendant un temps limité favorise les contacts agréables dénués de tensions.

Didier Pironi parmi les candidats au titre de Champion du monde

Je suivais les résultats de Didier depuis les formules de promotion. J’avais été enchanté de le voir piloter une Porsche 934 Kremer au 24 Heures du Mans 1976 (cf liens en fin de note). Son ascension vers la discipline reine avait été royale. Sa victoire au Mans en 1978 lui avait assuré une popularité très forte auprès du public. D’autant que les circonstances de course qui l’avaient contraint à effectuer les deux derniers relais sous une chaleur torride en firent un héros au moment du podium où il apparut épuisé par l’effort intense et la chaleur. Rappelons que l’Alpine A 442B qu’il partageait avec Jean-Pierre Jaussaud était équipée d’une bulle aérodynamique en plexiglass. Un avantage en vitesse de pointe, mais une température d’étuve dans le cockpit, surtout quand le soleil dardait ses rayons. 1980 marquait une nouvelle étape dans la carrière du champion français.

Didier-Pironi - Ligier-JS-11-15 - (1) - 1980 - Hockenheim - Photo-Thierry-Le-Bras

Didier-Pironi – Ligier-JS-11-15 – (1) – 1980 – Hockenheim – Photo-Thierry-Le-Bras

Après deux saisons au sein d’un Team Tyrrell qui n’était plus que l’ombre de l’époque Stewart, Didier rejoignait Ligier, une équipe capable de gagner des courses. Au Grand-Prix de Belgique, il rentrait dans le club très fermé des vainqueurs de Grands-Prix. A Monaco, il signait la pole et menait la course jusqu’à ce que sa boite de vitesses le trahisse. Bientôt pourtant, les relations entre Guy Ligier et Didier Pironi allaient s’assombrir. En Angleterre mi-juillet, le vainqueur du Grand-Prix de Belgique réalise la pole devant son équipier Jacques Laffite. Il part en tête et domine la course jusqu’à ce qu’une crevaison du pneu arrière gauche le stoppe au 18ème tour. La même mésaventure arrêtera bientôt Jacques. Didier repart le couteau entre les dents et remonte jusqu’à la quatrième place. Une nouvelle crevaison le stoppe, définitivement cette fois.

Didier-Pironi - Ligier-JS-11-15 - (2) - 1980 - Hockenheim - Photo-Thierry-Le-Bras

Didier-Pironi – Ligier-JS-11-15 – (2) – 1980 – Hockenheim – Photo-Thierry-Le-Bras

Guy Ligier entre dans une fureur noire. « Les pilotes sont payés pour rouler sur la piste et non pas sur les bas-côtés », hurle-t-il devant tous les médias francophones. Didier n’accepte pas les reproches du patron. On le comprend.  « Me battre comme je l’ai fait et entendre de telles choses est inadmissible ! » enrage Didier en privé. Le pilote a raison. Les problèmes subis par les Ligier proviennent des jantes qui ne supportent pas les contraintes d’appuis. Habitué aux coups de sang de Guy Ligier, Jacques laisse passer l’orage. Mais Didier ne pardonnera pas.

Didier voit rouge

Ferrari s’intéresse à lui. Il le sait depuis le 6 mars précédent. La 126 C à moteur turbo représente l’avenir. Il en est convaincu.

Didier-Pironi - BMW-M1 - 1980 - Hockenheim - 1er-Procar- Photo-Thierry-Le-Bras

Didier-Pironi – BMW-M1 – 1980 – Hockenheim – 1er-Procar- Photo-Thierry-Le-Bras

Hockenheim 1980 ne le retiendra pas chez Ligier. Didier a réussi de bons essais qui lui permettent de participer à la course Procar disputée sur des BMW M1. Une course qu’il remportera de haute lutte. La suite du week-end se révélera moins enthousiasmante. La course de la Ligier N° 25 s’arrêtera au 18ème tour à cause d’un arbre de roue cassé.

Didier prépare son choix pour 1981. « C’est à la fin du mois d’août que j’ai pris la décision de quitter l’équipe Ligier-Gitanes, commentera-t-il quelques semaines plus tard. J’en ai immédiatement informé Guy Ligier qui a été le premier prévenu du résultat de ma réflexion. ».Les contacts avec le Commandatore l’enthousiasment. « Notre première rencontre avec Enzo Ferrari, une découverte, une révélation, un homme admirable à tous les points de vue ».

Didier-Pironi-pilote-Ferrari - Copyright-inconnu

Didier-Pironi-pilote-Ferrari – Copyright-inconnu

Le vendredi 12 septembre, premier jour des essais du Grand-Prix d’Italie à Imola, Didier annonce sa décision de conduire pour Ferrari la saison suivante. 1981 se profile sous de nouvelles couleurs et avec une nouvelle technologie. « Je crois profondément en l’avenir du moteur turbo, annonce Didier. Je peux même dire que je ne crois qu’au turbo pour l’avenir de la F1 si, bien évidemment, la réglementation reste ce qu’elle est. »

Didier terminera le championnat 1980 à la 5ème place. Il sait que sa première saison chez Ferrari ne sera pas facile. Il lui faudra prendre ses marques dans un nouveau team. Et surtout, Ferrari découvre le turbo. Certes, l’écurie italienne se lance dans un pari gagnant à moyen terme. Seulement, il faudra maîtriser la technique et fiabiliser le nouveau moteur. Les voitures à effet de sol de cette époque se révèlent déjà brutales et difficiles à dompter. Le turbo augmente encore la difficulté de pilotage. Didier le reconnaîtra en 1982 lors d’une interview accordée au quotidien L’Équipe. Ce week-end-là, il pilote une Ferrari P4 de David Piper à l’AGACI 300, épreuve de véhicules anciens. Il témoigne des sensations au volant des monoplaces. « En F1, nous n’avons plus du tout de plaisir. Pour être efficace, il faut éviter de faire du spectacle. En outre, les suspensions sont tellement dures qu’on est secoués sèchement à bord, au point de parfois manquer une pédale ou le levier de vitesses lors de manœuvres. Ce qui provoque des fautes stupides et se paye cher. La limite est moins perceptible à cause de l’effet de sol, car elle dépend du contact des jupes avec le sol, lequel varie avec les inégalités de celui-ci. »

Didier-Pironi - Ferrari-126-C - (1) - 1981 - Hockenheim - Photo-Thierry-Le-Bras

Didier-Pironi – Ferrari-126-C – (1) – 1981 – Hockenheim – Photo-Thierry-Le-Bras

Les qualités exceptionnelles de Didier Pironi dépassent son art du pilotage. Au volant, il a un cœur énorme, suit des trajectoires parfaites et prend des appuis impressionnants dans les courbes rapides. Il sait aussi gérer une course et Enzo Ferrari l’a remarqué lorsqu’il a remporté les 24 Heures du Mans. De plus, ses études d’ingénieur lui ont appris la rigueur du raisonnement technique. Il se montre très sensible à la nécessité d’aligner une voiture homogène, non seulement puissante, mais saine, équilibrée, prévisible, compréhensible. Ce ne sera pas le cas de la Ferrari 126 C 1981. Une voiture puissante, difficile à comprendre, peu prévisible. Une machine acrobatique, pas un châssis pour pilote intelligent, logique, qui s’exprime pleinement lorsqu’il comprend son environnement, qui agit dans le but de le maîtriser. A cette époque, Ferrari souffre de ses châssis et des carrosseries. Longtemps Ferrari aura été associé à d’incroyables moteurs V12 pénalisés par des châssis inférieurs à la concurrence,  Lotus, McLaren, Brabham, voire Matra. « Segnor Ingeniere, il nous faut une soufflerie », répète-t-il sans cesse. Didier Pironi va convaincre Enzo Ferrari et la FIAT d’investir dans cette  soufflerie. Le Commandatore suivra également son conseil quant au choix de l’aérodynamicien, Harvey Potslehwaite. Ferrari disposera enfin de l’outil et de l’équipe qui lui permettra de fabriquer un ensemble moteur – carrosserie – châssis aussi performant que ceux qu’alignent les meilleures écuries anglaises.

Didier-Pironi - Ferrari-126-C - (2) - 1981 - Hockenheim - Photo-Thierry-Le-Bras

Didier-Pironi – Ferrari-126-C – (2) – 1981 – Hockenheim – Photo-Thierry-Le-Bras

Hochenheim ne sourira pas à Didier en 1981. Un problème électrique le contraindra à l’abandon dès le second tour. Mais son choix de s’engager avec Ferrari et son influence sur le développement des monoplaces dans de nouvelles directions porteront leurs fruits en 1982. Cette fois, la Ferrai 126 C2 sera compréhensible à défaut d’être docile. Didier Pironi en tirera la quintessence. A Hockenheim, il est largement en tête du championnat du monde. Il ne lui manquera que 5 points 7 Grands-Prix plus tard… Mais il y eut la Renault de Prost se trainant au ralenti sur la piste le samedi matin sous la pluie, feu rouge arrière invisible ou éteint, le hasard malheureux d’un autre concurrent à vitesse normale, et ce maudit accident qui lui coûta le titre et l’honneur de devenir le premier Champion du monde français de Formule 1. 5 points après avoir manqué 5 Grands-Prix… 5 points qui laissent amers au vu de trois événements ligués contre Didier Pironi. D’abord au Grand-Prix de Suisse, Prost qui est en tête avec sa Renault RE 30, ralentit peu avant l’arrivée. Keke Rosberg gagne et empoche 3 points de plus que si l’ordre de l’avant-dernier tour avait été respecté. A ce moment, il dépasse Didier de… 3 points. A égalité de points, Didier aurait été champion grâce au nombre de victoires en course. En cette fin de saison, Patrick Tambay, apparemment si costaud physiquement, aura récolté les arrêts de travail avec la fréquence d’un fonctionnaire allergique au bureau… Au Grand-Prix de Suisse justement, il déclare forfait en avançant des douleurs aux cervicales. En Italie, l’équipier de Didier est bien remis ; il se classe second. Il eût sans doute été malvenu de sécher le Grand-Prix national de Ferrari. Puis nouveau forfait de Tambay pour le Grand-Prix des États-Unis. Rosberg, 5ème, marque 2 points et conforte son titre. Que se serait-il passé si Tambay avait été là pour défendre son écurie et le titre de son équipier ? Avec des si, nous mettrions Modène en amphore, bien sûr. Mais tout de même, beaucoup d’éléments se seront acharnés contre Didier Pironi en 1982.

Didier-Pironi -Colibri - 1987

Didier-Pironi -Colibri – 1987

En août1982, je n’étais pas à Hockenheim. Je ne reverrais plus jamais Didier Pironi au départ d’une course automobile. Nous aurions pu le retrouver dans un baquet compétitif en 1987. Une basse manœuvre de couloir l’empêcha. En 1988, Didier Pironi devait piloter une Larrousse-Calmels-Lamborghini. Hélas, le sort s’acharna encore. Le 23 août 1987, Didier, qui visait le titre de Champion du monde d’offshore avant son retour en Formule 1, trouvait la mort pendant la course au large de l’Île de Whight.

De la mort, Didier Pironi disait : « elle est omniprésente entre mes parents et moi autour de la table ; nous n’en parlons jamais. Ils ont très bien compris que j’étais heureux de ma vie et n’ont rien fait pour l’entraver. Ils savent que mes passions sont un accomplissement merveilleux. Atteindre ses limites, oui, c’est merveilleux. L’unique chose qui me choque profondément en imaginant la mort, c’est le fait de manquer à quelqu’un, de ne plus être auprès de mes proches, de les rendre tristes« . Il nous a beaucoup manqué à nous ses supporters et aussi à la F1 française.

A suivre…

QUELQUES LIENS

DESIGNMOTEUR présente la Ferrari Open-Top http://www.designmoteur.com/2016/07/laferrari-open-top-speciale-paris/ 

Didier Pironi Rallyman http://bit.ly/1N3JPrm

 1976, Didier Pironi découvre Le Mans au volant d’une Porsche 934 Kremer http://bit.ly/21qHK0D

 Automobile, motocyclisme, lutte, cyclisme, voile, des histoires de sport à la Une http://bit.ly/2ado242

 Un pilote raconte sa première fan http://bit.ly/1pNE7oX

Thierry Le Bras

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