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Une BD sur les 12 Heures de Sebring 1970

Sebring 70, la 12ème heure, c’est le titre de l’album signé par Youssef Daoudi et Christian Papazoglakis pour la collection Pein Gaz aux Êditions Glénat. Réjouissons-nous de cette publication qui contribue à la mémoire de la culture automobile, un thème qui nous est particulièrement cher.

Sebring-70-la-12ème-heure - couverture

Sebring-70-la-12ème-heure – couverture

L’album est sorti au quatrième trimestre 2015, c’est-à-dire peu après le documentaire The Man & Le Mans consacré à la passion de Steve McQueen pour la course automobile.

Ce fut en 1970 justement que Steve réalisa son rêve le plus cher, tourner le film Le Mans au cœur de la classique sarthoise. Mais avant la course et la suite des prises de vue sur le grand circuit du Mans, l’acteur pilote avait participé à une autre grande épreuve, les 12 Heures de Sebring. Il faisait équipe avec Peter Revson, un pilote professionnel, un authentique champion qui courait également en F1 et remporterait deux Grands-Prix dans sa carrière. Les deux hommes partageaient le volant d’une Porsche 908/02, un prototype 3 litres  qui serait ensuite engagé aux 24 Heures du Mans avec une caméra embarquée destinée à filmer la course de l’intérieur. Communiquer sur une course à laquelle participait Steve McQueen au moment de la sortie du documentaire représenta à l’évidence un joli coup médiatique.

Des images de notre photothèque concourent à l’illustration de cette chronique.

Une époque reine de l’endurance

Replaçons-nous dans le contexte de 1970. En France, la vitesse est libre sur autoroute. Les contrôles sont rares sur les tronçons où elle est réglementée. Les publicités automobiles vantent les performances, pas l’émission de CO2. Les artistes de variétés ne se prennent pas pour des guides de la société. Ils ne passent pas à la télé parce qu’ils sont « engagés » et soutiennent le pouvoir mais pour distraire le public, ce qui n’est pas si mal.

La F1 vit encore sa période artisanale. Ferrari, De Tamaso et Lotus sont les seuls constructeurs engagés. Rien à voir avec des géants de l’industrie. Ford est certes présent, mais en qualité de motoriste fournissant la majorité des équipes. Bien sûr, remporter le titre constructeur génère des retombées, mais la discipline n’a rien d’un rouleau compresseur médiatique ni de la planche à billets de l’ère contemporaine.

Porsche-917 - -circuit-le-mans-1971 -auteur-inconnu

Porsche-917 – -circuit-le-mans-1971 -auteur-inconnu

Par contre, l’endurance vit une belle période. Les 24 Heures du Mans représentent  la course la plus importante du monde pour la presse et les annonceurs. Après des années marquées par la guerre Ford – Ferrari puis la rivalité Porsche – Ford, de nouveaux duels de titans passionnent les foules. Porsche et Ferrari s’affrontent dans toutes les manches du championnat d’endurance. Les deux firmes ont acquis leur prestige en compétition. Elles fabriquent uniquement des GT qui font rêver. Des inconditionnels les soutiennent. Elles engagent des modèles absolument exceptionnels qui comptent encore parmi les plus belles voitures de course jamais produites ! La 917 d’un côté, la 512 de l’autre. A côté de ces monstres de 5 litres cylindrée, des Lola T70 et quelques prototypes 3 litres eux-aussi enthousiasmants. Les Porsche 908, Alfa Romeo T 33, Matra Simca MS 650, Ferrari 312 P ne manquaient pas d’allure ni de potentiel. Le plateau était complété par des GT, majoritairement des Chevrolet Corvette et des Porsche 911

Ferrari-512-M - 2004 - Mans-Classic - Photo-Thierry-Le-Bras

Ferrari-512-M – 2004 – Mans-Classic – Photo-Thierry-Le-Bras

A l’époque, la F1 ne vampirisait pas les autres disciplines. Pourquoi ? Parce qu’elle comptait moins d’épreuves, parce qu’elle engrangeait moins d’argent, parce que les patrons d’écuries n’imaginaient pas bloquer leurs pilotes avec des contrats d’exclusivité imposant de les payer plus cher, pace que les obligations promotionnelles prenaient moins de temps et laissaient davantage de disponibilités pour courir… Les teams Porsche et Ferrari (usines comme privés) engageaient les meilleurs pilotes en activité. Plusieurs figuraient parmi les vainqueurs (ou futurs vainqueurs) de Grands-Prix. Parmi les meilleurs, Pedro Rodriguez, Mario Andretti, Jo Siffert. Les autres teams possédaient aussi leurs stars, François Cevert, Henri Pescarolo, Arturo Merzario, Rolf Stommelen… Bolides d’exception, pilotes connus au-delà des spécialistes d’une discipline, traitement correct des médias, toutes conditions concouraient au succès de l’endurance auprès du public.

Des dessins magiques qui recréent l’atmosphère

Soulignons la qualité des dessins de Christian Papazoglakis. Les bolides d’époque revivent sous son trait. Il restitue l’intensité de l’action, la caractère dramatique de certaines scènes, les appuis, le mouvement, la vitesse.

Porsche-908-modèle-1969 - 2004 - Mans-Classic - Photo-Thierry-Le-Bras

Porsche-908-modèle-1969 – 2004 – Mans-Classic – Photo-Thierry-Le-Bras

Le scénario raconte les temps forts d’une course exceptionnelle qui tourna finalement à l’avantage de Ferrari. Si l’épreuve reste dans les mémoires principalement à cause de l’excellente course de l’équipage Revson –McQueen sut Porsche 908, les auteurs nous rappellent les nombreux rebondissements intervenus au fil des tours.

Ferrari-512-S - Ferrari-Dino-246-GT - 2004 - Mans-Classic - Photo-Thierry-Le-Bras

Ferrari-512-S – Ferrari-Dino-246-GT – 2004 – Mans-Classic – Photo-Thierry-Le-Bras

Ils n’oublient pas de mentionner le ressenti des pilotes. Ainsi Mario Andretti souligne-t-il que Jo Siffert ne fait pas de différence entre de l’endurance et du sprint. Plus loin, Ignzio Giunti laisse échapper ce qu’il pense de Ferrari. « De toute façon, la Scuderia n’a d’égards que pour victoire… Très peu pour ses artisans »

La quatrième page de couverture mentionne que beaucoup des pilotes qui se mirent en évidence lors de ces 12 Heures de Sebring disparaîtraient plus tard en course. Leur rendre hommage est justifié et touchant. Le point noir de cette période de tourbillon reste la dangerosité de la compétition et la disparition de nombreux champions. J’étais adolescent en 1970. Les murs de ma chambre étaient couverts de posters et photos représentant des voitures de course. Dont bien sûr les Porsche 917 des équipes Gulf et Martini. Je me rappelle très bien la tristesse des dimanche soirs quand la radio ou la télévision annonçait la mort d’un de ces champions. Ils étaient les héros de ma jeunesse, comme de beaucoup d’autres jeunes gens de ma génération. J’aurais tant aimé par exemple voir les frères Rodriguez gagner Le Mans ensemble. Le sort les a emportés trop tôt pour que ce soit possible.

Un angle qui provoque quelques déceptions

Malgré les qualités de  l’album, j’ai pour ma part été choqué du procédé qui consiste à utiliser de manière à peine voilée l’image de Steve McQueen pour le traiter avec assez peu de respect, relativiser son talent, sa passion de l’automobile et sa volonté de promouvoir la compétition.

Ferrari-512-Porsche-908 - 1970 - Sebring - Les 2 premiers-du-classement

Ferrari-512-Porsche-908 – 1970 – Sebring – Les 2 premiers-du-classement

Bien sûr, le pilote numéro un de l’équipage de la Porsche 908/02 N° 48 était Peter Revson. Bien sûr, le thème de l’album est de raconter ce dont peu se souviennent précisément au sujet de cette course… Mais en utilisant l’image d’une star pas très bien traitée dans le scénario afin de garantir le succès commercial du livre. Franchement, j’ai trouvé l’angle passablement inélégant et mercantile.

Steve McQueen aura eu le courage de vivre son rêve, de s’engager dans une course difficile, de prendre des risques énormes pour que le film Le Mans sorte comme il le voulait, sans concessions qui le dénaturent. Il méritait plus de respect, plus d’enthousiasme. Si les auteurs et/ou l’éditeur veulent critiquer une vedette de l’écran qui s’est fait de la publicité en sport automobile sans aucune légitimité, il faut consacrer un album au cas Jean-Louis Trintignant. Encore plus soporifique au volant que dans ses films, l’acteur s’est imposé comme un boulet à son équipe aux 24 Heures du Mans 1980. Il y gâcha la course de ses équipiers et finit par détruire la voiture de manière bien peu glorieuse. J’en reparlerai dans une autre chronique.

Chevrolet-Corvette-modèle-1968 - 2004 - Mans-Classic - Photo- Thierry-Le-Bras

Chevrolet-Corvette-modèle-1968 – 2004 – Mans-Classic – Photo- Thierry-Le-Bras

Que dire enfin de la partie fiction de l’album ? Il s’agit cette fois de l’histoire de la famille McCoy, le père, les fils et la petite amie de l’un d’eux. Le père McCoy a créé un team qui engage une Corvette. Les pilotes étaient initialement ses deux fils, Troy et Julian. Mais Troy s’est engagé pour combattre au Vietnam. Il a quitté le team. Une façon d’intégrer la guerre du Vietnam à l’histoire puisqu’un des frères a abandonné la compétition pour partir défendre le peuple du joug communiste qui voulait l’étouffer. A l’opposé du patriotisme du militaire, la petite copine de Julian se revendique militante pacifiste et n’hésite pas à en découdre avec les forces de l’ordre. Contraint d’intervenir pour la tirer d’un mauvais pas au cours d’une échauffourée, Julian va arriver sur le circuit de Sebring dans un état physique déplorable. Le team McCoy est au bord de la faillite. Cette équipe, c’était le rêve du père McCoy, une passion que partage Julian mais pas Troy malgré ses qualités de pilote. Toutes les conditions sont réunies pour placer Julian, déjà écrasé par la pression, au cœur de conflits de loyauté. Un drame se prépare. Cette intrigue aurait pu présenter de l’intérêt. Mais voilà, le lecteur éprouve le sentiment de lire deux histoires différentes en même temps. Chacune nuit au fil de l’autre. La technique des deux histoires parallèles fonctionnait à merveille dans La dernière Targa Florio avec le tandem d’auteurs  Dugomier et Krings. Elle ne marche pas, ou plutôt ne roule pas, dans Sebring 70, la 12ème heure. Dommage.

L’album vaut d’être acheté pour les dessins de Porsche 917, 908, Ferrari 512, Corvette et autres bolides. Le feuilleter offre un grand plaisir. Le scénario et les textes ne m’ont pas séduit. Mais je sais que l’appréciation d’un livre est par nature subjective. Le mieux sera donc que vous achetiez l’album pour construire votre propre opinion. Les dessins de Christian Papazoglakis méritent de dépenser 13,90 €. Et il faut encourager les auteurs et éditeurs qui osent le récit et la fiction automobiles !

QUELQUES LIENS

Steve McQueen, L’homme & Le Mans http://circuitmortel.com/2015/11/steve-mcqueen-lhomme-et-le-mans/

DESIGNMOTEUR m’a invité à raconter quelques souvenirs personnels de la VW Golf GTI, au volant, en course http://www.designmoteur.com/2016/04/vw-golf-gti-annees-70/

Jour de Gloire pour Ronnie, une fiction écrite pour devenir une BD http://0z.fr/DwoeM

Docufiction sur une vie de pilote http://bit.ly/1R9OCsP

La dernière Targa Florio, un autre album automobile paru chez Glénat http://circuitmortel.com/2015/10/la-derniere-targa-florio/

Thierry Le Bras

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