Vous êtes ici : CIRCUITMORTEL » Fiction » DE TROP A NOËL 5/6

DE TROP A NOËL 5/6

Circuit Mortel vous offre un feuilleton automobile en 6 épisodes pour les fêtes ! Un peu road-movie, franchement cynique, non dénué d’humour caustique, sans illusions sur les familles, une histoire où vous vous demanderez si le Père Noël existe… ou pas ? Le narrateur sera Philippe Georjan, personnage déjà connu de mes lecteurs les plus fidèles. Les autres le découvriront.

Décorations-de-Noël - Photo-TLB

Décorations-de-Noël – Photo-TLB

Les premiers épisodes de ce feuilleton sont en ligne ICI

Épisode 1 : http://circuitmortel.com/2015/12/de-trop-a-noel-16/

Épisode 2 : http://circuitmortel.com/2015/12/de-trop-a-noel-26/

Épisode 3 : http://circuitmortel.com/2015/12/de-trop-a-noel-36/

Épisode 4 : http://circuitmortel.com/2015/12/de-trop-a-noel-46/

(Devenus des étrangers dans la maison familiale où ils ont grandi, Philippe et son cousin Laurent ont précipité leur départ. Le 25 décembre, ils traversent la France à vive allure…).

Épisode 5

Nous avons repris la route avec entrain. Toujours en roulant à vive allure. Ceux que nous doublions devaient imaginer que nous avions hâte de rejoindre notre famille en ce jour pas comme les autres. S’ils avaient su… Nous nous sommes arrêtés le midi à Tours. Il ne fut pas si facile de trouver un restaurant ouvert le jour de Noël. Nous avions d’abord imaginé nous restaurer dans un petit établissement convivial que nous fréquentions chaque année à l’occasion du Rallye de Touraine. Ils avaient au menu une cuisse de pintade aux raisins absolument délicieuse. Le restaurant était fermé. Ce jour-là, le chef devait réserver son talent aux siens. Ou passer le plus de temps possible au fourneau de son domicile afin de fuir la soupe à la grimace de sa belle-mère ou d’un autre dragon de la jungle familiale.

Mini - Photo-Thierry-Le-Bras

Mini – Photo-Thierry-Le-Bras

Nous avons finalement trouvé refuge dans une grande brasserie au centre-ville. La serveuse a semblé surprise quand nous avons commandé les boissons. Une coupe de Champagne chacun, puis de l’eau minérale. Nous avions encore des kilomètres à dévorer. Pas question d’absorber plus d’alcool. Autour de nous, des familles habillées comme un jour de noces. Des visages crispés malgré les sourires de circonstance. Les plus jeunes tenaient à leurs futures étrennes. Certains espéraient de l’argent pour le permis de conduire, voire une voiture, pourquoi pas une rutilante Mini ? Les vieux trompaient la solitude avec l’obsession de prolonger le moment. Les uns attendaient de sortir de table avec impatience. Les autres redoutaient l’ennui dès que la fête serait achevée. Tous simulaient la béatitude devant la dinde Noël (nous étions en 1978, le chapon n’était pas encore à la mode).

– Il y a pire que tous ceux-là, souffla Laurent. Pense aux familles recomposées. Les enfants de plusieurs lits qui se détestent mais doivent cohabiter à la même table. Les marâtres sorcières, les beaux-pères brutaux, les gamins qui attendent que se termine une fête où ils se savent intrus en songeant à leur autre parent qui reste tout seul…

– Et les vieux que personne ne va voir, ajoutai-je en entonnant quelques phrases d’un tube de Michel Sardou :

Elle a sa famille en photos, la vieille…

Y’a ceux qui viendraient bien des fois

Mais qui n’ont pas d’auto pour ça,

Ceux qui ont pas l’temps, qu’habitent pas là,

Puis y’a les autres qui n’y pensent pas…

Il faudrait abolir Noël, ai-je soupiré.

Aujourd’hui, je ne le pense plus. Cette fête fait partie intégrante de notre culture et je réprouve les attaques contre nos traditions, les arbres de Noël, les crèches, la Fête des rois, tout ça au nom d’une christianophobie guerrière et hystérique à la mode chez les dictateurs lobbyistes qui font sombrer notre pays. Mais personnellement, bien que nous organisions désormais des fêtes agréables, Noël ne m’emballe toujours pas. Je pense aux disparus dans notre entourage, aux années qui passent et nous rapprochent tous du déclin, de la fin. Noël est la période de l’année qui favorise le plus le spleen malgré les guirlandes, les décorations, les paillettes. Les statistiques de suicides sont terrifiantes à cette période. A part les naïfs, tout le monde sait que le Père Noël n’existe pas. Existe-t-il une magie de Noël ? Ça dépend sans doute des années.

Opel-Kedett-GTE-1978

Opel-Kedett-GTE-1978

Nous avons quitté la brasserie plus rapidement que les occupants des tables voisines. N’ayant consommé qu’une demi-douzaine d’huitres, une part raisonnable de dinde avec de la purée de marrons, puis un café, nous nous sentions frais et dispos.

– Frais comme des gardons, plaisanta Laurent en montant dans l’Opel Kadett GTE. Imagine que nous soyons restés à Saint-Malo. A cette heure-ci, nous commencerions à peine les coquilles Saint-Jacques après le foie gras. Nous passerions l’après-midi à festoyer comme au temps de Rabelais. En plus des tonnes de mets trop riches, nous aurions mélangé du whisky, du Sauterne, un blanc sec, un Bordeaux ou un bourgogne rouge, du Champagne, du Grand-Marnier ou de la Mandarine Napoléon. Nous aurions fini la journée avec un mal de tête lancinant et la gueule de bois malgré l’Alka Seltzer. Nous nous serions réveillés barbouillés demain matin avec la perspective de traverser la France dans des conditions pénibles. Demain matin, il nous restera beaucoup moins de route à faire et nous serons en forme !

– Sans compter que Mamie Blues nous aurait saoulés avec son venin au citron vert, persiflai-je. Nos mères auraient voulu nous gaver comme des oies. Si nous avions refusé de nous rendre malades à force de manger, la vieille vache aurait maugréé que ce n’était pas la peine de mettre autant d’argent sur la table si nous n’avions pas la politesse de faire honneur aux hôtesses.

Coupé-Peugeot-504-V6 - Photo-Thierry-Le-Bras

Coupé-Peugeot-504-V6 – Photo-Thierry-Le-Bras

– Noël n’est pas pire dans notre famille qu’ailleurs, ricana Laurent au moment où j’engageais l’Opel sur l’avenue qui allait nous permettre de sortir de Tours, direction Clermont-Ferrand. Juste avant de quitter le bureau, je me suis entretenu avec Joël Maranno (NDLR : le PDG d’une chaine de magasins d’optique, client du cabinet d’avocats où Philippe et Laurent exerçaient). Au moment de raccrocher, il m’a confié qu’il s’était préparé un Noël d’enfer. Le 24 en milieu d’après-midi, il annoncerait à sa femme qu’il avait des marchandises bloquées en douane à Stockholm et qu’il devait prendre l’avion pour régler le problème. En fait, il avait réservé une pute qu’il amènerait moins loin, à Bruxelles. Il rentrera le 26. Sa femme et ses enfants sont à Paris, convaincus qu’il se sacrifie pour leur bien-être. Il sait leur rappeler que le Coupé 504 et les toilettes de madame lui coûtent cher, comme l’école des fistons, comme leurs vacances à tous. Des villégiatures qu’il ne partage jamais longtemps, il est vrai, puisqu’il trouve toujours des prétextes pour passer de bons moments en meilleure compagnie.

Porsche-928 - Photo - TLB

Porsche-928 – Photo – TLB

Mobil-Home - Photo-Thierry-Le-Bras

Mobil-Home – Photo-Thierry-Le-Bras

– Notre copain Jacques Coqguirec n’est pas avec sa famille non plus, poursuivis-je. Il prévoyait de rester réveillonner chez lui, avec femme, enfants, parents. .. Puis ce matin, il a reçu un appel téléphonique lui annonçant qu’un de ses chauffeurs a planté un camion à Bordeaux, qu’il manque des papiers, que la police veut le voir dès que possible. Il se confondra en excuses auprès de madame, jettera quelques effets dans une valise, sautera dans la Porsche 928… et prendra la route de Pornic où sa maîtresse préférée attend son Roméo dans un mobil-home certainement décoré à l’intérieur de boules et accessoires de Noël. Au menu, Juliette sur canapé et douceurs pendant deux jours (NDLR : Michel était le patron de Mondia-Trans, un groupe de transport qui faisait partie des sponsors des deux cousins en compétition automobile).

– Les salades de mensonges sont le plat favori de Noël, constata Laurent.

– Sans doute. Si les femmes de nos loustics savaient la vérité, la moutarde leur monterait au nez et elles auraient envie de rôtir les pintades de leurs maris à la broche. D’un autre côté, pourquoi ces gars organisent-ils de telles mises en scène afin de s’évader du logis familial ? S’y sentent-ils si mal aimés ? Les relations des couples et celles qui lient parents et enfants sont-elles si fragiles que la plupart se brisent après quelques années ?

Je rajoutai une autre anecdote. La semaine dernière, j’ai reçu une autre demande surprenante. Lucie Milart, la nouvelle compagne de Bertrand Guanguihet (NDLR : client du cabinet d’avocats), est passée me demander une consultation. Elle n’a pas la garde permanente des enfants nés pendant son premier mariage, mais elle les prend en principe la moitié des vacances scolaires. Et bien ça dérange madame qui n’a plus rien à faire d’eux. Elle voulait trouver une solution pour partir en vacances avec son nouveau bienfaiteur sans les petits, quitte à lancer une procédure. Comme je ne voyais pas de solution judiciaire raisonnable, elle s’est finalement arrangée avec sa sœur qu’elle paye (enfin, avec l’argent de son mec) pour les amener à la campagne pendant que le nouveau petit couple part aux Antilles. Un monde formidable, des familles géniales…

Grundle-Dieckmann - VW-Golf-GTI -Rallye-Monte-Carlo- Photo-Thierry-Le-Bras

Grundle-Dieckmann – VW-Golf-GTI -Rallye-Monte-Carlo- Photo-Thierry-Le-Bras

Une fois sur la nationale, j’ai éprouvé un vrai plaisir à faire monter le moteur de la Kadett GTE dans les tours, à freiner tard avant les courbes, à prendre des appuis, à doubler des conducteurs plus lents. A un moment nous avons rattrapé une VW Golf GTI blanche équipée d’un arceau. Son pilote a accéléré en nous voyant arriver dans son rétro.

– Deux gars jeunes et tout seuls qui descendent vers la montagne un jour de Noël ? observa Laurent. Voilà qui ressemble à un équipage profitant de la trêve des confiseurs pour reconnaître le rallye de Monte-Carlo. Les veinards !

Porsche-Carrera-RSR 2004 - Le-Mans-Classic - Photo-Thierry-Le-Bras

Porsche-Carrera-RSR 2004 – Le-Mans-Classic – Photo-Thierry-Le-Bras

Nous aurions adoré courir le Monte-Carlo avec la Golf GTI groupe 2 qu’un garage mettait à notre disposition pour la saison de rallyes. D’autant que le résultat fantastique des Alpine groupe 2 de Ragnotti et Fréquelin en janvier précédent faisait rêver (2ème et 3ème au scratch derrière la 911 Almeras de Nicolas) donnait des idées. En cas de conditions bien hivernales, des gentlemen drivers pouvaient espérer un joli coup au classement promotion. Réunir le budget n’aurait pas été forcément irréalisable grâce à des sponsors encore généreux à cette époque où l’économie n’était pas complètement plombée par des gestions calamiteuses. Mais nos obligations professionnelles ne le permettaient pas. Le Monte-Carlo durait une bonne semaine et exigeait une longue préparation. Or, notre cabinet devait gérer des dossiers et des audiences au début de l’année 1979. Le Monte-Carlo était un rêve impossible et le resterait sans doute. Nous aurions été malvenus de nous plaindre. En 1979, j’avais un programme chargé, six rallyes avec la Golf groupe 2, de nombreuses courses de côtes avec une Ford Escort 2000 RS groupe 1, Le Mans sur une Porsche Carrera Imsa  et Spa sur une Capri 3 litres (Spa, ce serait avec Xavier en plus, du pur bonheur) (1). A ce niveau-là, le Père Noël était passé en avance avec de beaux cadeaux, peut-être sans rubans, mais sous forme de contrats de sponsoring ! C’était plus important qu’une soirée de réveillon ratée. Personne ne peut tout avoir.

Nous avons roulé de concert avec la Golf pendant une cinquantaine de kilomètres. Nous nous sommes doublés plusieurs fois. A un moment, les gars se sont arrêtés dans une station services. Ils nous ont fait des appels de phares. Nous avons répondu par un geste du bras. Ces quelques kilomètres à très vive allure nous ont enchantés. Un cadeau du Père Noël. L’occasion de rouler un peu comme en reconnaissance de rallye.

Descente-de-concurrents - 1978 - Le-Mont-Dore - Photo-TLB

Descente-de-concurrents – 1978 – Le-Mont-Dore – Photo-TLB

La nuit tombe tôt en décembre. Nous avions entamé notre road-movie sans trop savoir où nous nous arrêterions. Nous avons finalement décidé de passer la soirée et la nuit au Mont-Dore, une région que nous connaissions bien puisque je disputais la course de côte tous les ans et que Laurent venait avec moi. Ce serait amusant de découvrir l’hiver une région que nous fréquentions d’habitude au mois d’août. Inconsciemment, sans doute éprouvions-nous le besoin de nous retrouver dans un lieu connu pour terminer cette journée quand même pas tout à fait comme les autres.

A suivre…

QUELQUES LIENS

DESIGNMOTEUR nous offre une page d’histoire automobile : Audi, VW, Porsche http://www.designmoteur.com/audi-volkswagen-porsche/

(1) Xavier, un peu le grand frère de Philippe, un pilote professionnel qui lui a appris à conduire vite dès son adolescence dans des conditions inhabituelles http://bit.ly/1Q5ghzu

Philippe Georjan

(propos recueillis par Thierry Le Bras – Vous êtes surpris qu’un personnage de fiction s’exprime et signe ? Vous avez tort, les personnages de fiction vivent dans un univers parallèle où ils entraînent leur créateur et les lecteurs de leurs aventures. Pourquoi ne s’exprimeraient-ils pas ? C’est la magie de la fiction, chers lecteurs. En tant qu’auteur, je ne suis que le biographe de mes personnages et je leur suis reconnaissant de m’accepter dans leur monde et d’obtenir d’eux l’autorisation de rapporter les temps forts de leurs existences)

Comments are closed.