Circuit Mortel vous offre un feuilleton automobile en 6 épisodes pour les fêtes ! Un peu road-movie, franchement cynique, non dénué d’humour caustique, sans illusions sur les familles, une histoire où vous vous demanderez si le Père Noël existe… ou pas ? Le narrateur sera Philippe Georjan, personnage déjà connu de mes lecteurs les plus fidèles. Les autres le découvriront.

Noël-dans-la-maison – Photo-TLB
Les premiers épisodes de ce feuilleton sont en ligne ICI
Épisode 1 http://circuitmortel.com/2015/12/de-trop-a-noel-16/
Épisode 2 http://circuitmortel.com/2015/12/de-trop-a-noel-26/
(Philippe Georjan et son cousin Laurent arrivent à Saint-Malo pour passer Noël avec leurs parents. Mais les choses ont changé et l’accueil se révèle peu chaleureux…).
Épisode 3
– Ils partent quand ? demanda Rosa en nous fixant avec un air mauvais.
Cette phrase, c’était un peu le retour du boomerang. C’était ce que je disais quand j’étais petit à chaque fois que la grand-mère venait nous voir, La protégée des femmes de la maison me la resservait en amuse-bouche préalable au dîner de Noël. Juste retour des choses ? Vengeance aux saveurs amères ? Simple hasard ? Il était clair en tout cas que ma sœur adoptive m’appréciait autant que j’appréciais ma grand-mère. Brrrr. De quoi frissonner. L’histoire était peut-être un éternel recommencement après tout.

L-Année-Automobile
Des scènes de Noëls passés défilèrent dans mon esprit. Mes cadeaux me satisfaisaient pleinement. Depuis quelques années, je savais à quoi m’attendre. Ce serait vraisemblablement le dernier volume de L’ANNÉE AUTOMOBILE, un beau livre richement illustré. Tout le monde ne réagissait pas de la même manière sous le sapin. Ma mère affichait toujours un visage déçu lorsqu’elle ouvrait mes cadeaux et ceux de mon père. Il était même arrivé qu’elle refusât de fait des cadeaux de papa en les échangeant contre autre chose pour lui. Je me rappelais très bien d’une chemise de nuit qu’elle avait rendue à la boutique contre une chemise d’homme car elle disait se sentir insultée de recevoir un accessoire d’actrice porno. Il y avait eu aussi un seau à Champagne même pas sorti de son emballage, des boucles d’oreilles jamais portées… J’étais très jeune au moment de ces événements. Ils s’étaient pourtant gravés dans ma mémoire. Je me rappelais aussi mon père qui dissimulait derrière un sourire de circonstance l’ennui que lui inspiraient les fêtes familiales. Lorsqu’il était avec moi, je le sentais toujours absent, ailleurs, absorbé dans d’autres pensées. Noël, c’était la crainte renouvelée d’un dérapage qui gâcherait la journée en sortant un des membres de la famille de son rôle de composition. Le spleen des soirs de 25 où chacun culpabilisait d’avoir raté une fois de plus l’esprit de la fête. Nous avions longtemps fait semblant d’y croire, et ce soir du 24 décembre 1978, la vérité dévoilait son visage. Nos mères et la grand-mère, c’était le clan des femmes, inséparables, menées par leur doyenne. Laurent et moi étions comme des jumeaux, inséparables aussi. Mon père s’entendait très bien avec son frère – mon oncle. Il s’ennuyait avec le reste de la famille. A part la grand-mère, je crois que nous étions tous des individus plutôt bons. Nous avions tous fait des efforts pour les autres. Adolescent, j’avais adoré ma vie, la liberté que me laissait ma famille. Je n’avais pas compris que si cette recette nous avait comblés, Laurent et moi, nos mères n’avaient pas trouvé leur place et que nos pères avaient fui la maison.

Guirlandes-de-Noël – Photo-TLB
Noël possède la propriété de faire remonter les sentiments les plus tristes et les plus amers. C’était le cas ce jour-là. Soudain, j’ai eu hâte d’en finir avec ce Noël sans sens, de me réveiller au matin du 26 décembre, sur la route d’Isola. Et au fond, pourquoi attendre le 26 ? Pourquoi rester faire semblant en gâchant la fête de tout le monde. Contrairement à ce que voulait mettre en scène la grand-mère, Rosa n’était pas une envahisseuse qui me chassait de ma maison. Elle était certes une personne sans lien avec moi. Elle prenait une place dans un cadre qui avait été le mien. La grand-mère l’avait sans doute montée contre moi en me présentant comme un ennemi. Elle se défendait intuitivement avec ses armes, des caprices d’enfant. Je ne lui en voulais pas. Elle n’était que le révélateur de non-dits qui avaient provoqué un éloignement au fil des années. Ma vie était ailleurs maintenant. J’avais aimé ma jeunesse. J’aimais ma vie de jeune adulte. Un chapitre se tournait. Je n’avais pas réalisé qu’à l’exception de Laurent, dont je savais qu’il avait toujours ressenti les mêmes choses que moi, les autres membres de la famille ne partageaient pas nos états d’esprit. L’attitude de ma cousine Christina devenait limpide. Elle s’était beaucoup éloignée de nos parents depuis son mariage et elle restait vague quand nous lui en demandions les raisons. Elle avait dû sentir que sa place était ailleurs. Tant mieux pour nos parents si l’arrivée de Rosa leur offrait une seconde chance. Il ne fallait pas qu’ils la gâchent, ni qu’ils laissent la grand-mère leur pourrir l’existence. J’aurais préféré que cette prise de conscience survienne un autre jour, pas à Noël. D’un autre côté, le cadeau de ce Noël, c’était peut-être d’accepter la réalité. Il en existait de bien pires…

Karting -Saint-Méloir – Photo – TLB
Une vacherie de Brice me revint en mémoire. Elle remontait au temps des courses de kart. Nous devions avoir seize ans. J’avais gagné. Brice finissait troisième. Son père, sa mère, sa mère, son petit frère, son grand-père et un oncle étaient là. Ils l’avaient applaudi à tout rompre quand il était monté sur le podium. Seul Laurent m’avait suivi. « Tu es un ado gâté, mais moi, je suis aimé, avait glissé Brice en descendant du podium. Ma famille est là quand il se passe quelque chose d’important ». J’avais fait mine de ne pas entendre et j’avais répondu aux félicitations de Laurent, des copains du club et des supporters. Mais j’avais souvent pensé à ce moment lors de remises des prix. Mon père n’était jamais venu me voir courir. Il avait toujours trouvé des excuses. Mon oncle avait fait quelques apparitions lors de rallyes. Assez rarement.
Après avoir vagabondé sur les pistes du passé et de la trajectoire future de la famille, mon esprit revint au présent.
– Je crois que personne ne va passer un bon Noël si nous restons, suggérai-je. J’avais parlé d’une voix plus froide que je l’aurais voulu. Rosa est petite, c’est son Noël qui compte. Nous pourrions repartir tout de suite. Après deux whiskys, l’alcootest serait positif en cas de contrôle. Donc, pas question d’aller loin. Il faut que nous trouvions un hôtel à Saint-Malo pour ce soir. Je peux téléphoner à l’Hôtel de la Poste ? Demain, nous partirons directement à Isola.

Publicité-Hôtel-de-la-Poste – Saint-Malo – Phot-TLB
– Non, surtout pas l’Hôtel de la Poste, intervint ma mère. C’est trop près de la librairie. Les patrons nous connaissent. Je ne veux pas qu’on dise que mon fils et mon neveu descendent à l’hôtel et dînent au restaurant le soir de Noël.
– Excluons l’Hôtel de la Poste, persiffla la grand-mère. Par contre, s’ils vont au restaurant et à l’hôtel Intra-muros, à L’Univers ou au Central par exemple, il y a peu de chances que des gens que nous connaissons les reconnaissent. Tout le monde est en famille ce soir…
– C’est ce que je pense aussi, dit Laurent qui n’avait pas plus envie que moi de rester. Personne ne nous verra et nous ne sommes pas des stars. On ne nous reconnaît pas dans la rue comme Alain Delon ou notre ami Xavier.
La tête de la grand-mère se renfrogna à l’évocation de notre ami pilote. Elle avait toujours mal vécu nos relations amicales avec un pilote automobile célèbre.
– Moi, je pense que Rosa pourrait arrêter ses caprices, observa mon oncle. Noël, ce n’est pas tout pour la même et rien pour les autres.

Motard-Gendarmerie-Nationale – BMW – Photo-Thierry-Le-Bras
Mon père préféra baisser la tête que soutenir son frère. Ma grand-mère, ma mère et ma tante fusillèrent mon oncle du regard avec plus de sévérité qu’un motard sur le point de verbaliser.
– A part toi papa, il est évident que tout le monde juge que nous sommes de trop cette année, constata Laurent. Plus vite nous partirons, mieux ce sera pour tout le monde. Il aurait mieux valu que nous ne venions pas. Ce n’était pas une bonne idée de faire les présentations avec Rosa à Noël.
– Moi, je préférerais que vous restiez, insista mon oncle. De toute façon, pas question que vous partiez ce soir. Faisons au moins tous un effort pour passer une soirée conviviale et demain matin, tout le monde se réveillera de bonne humeur. Nous nous demanderons comment nous avons pu envisager de ne pas passer Noël ensemble.
Un silence glacial s’installa. Le regard de reproche qu’adressa mon père à son frère me fit l’effet d’un uppercut. La fracture était encore plus grave que je pensais. Beaucoup plus grave…
Nos mères ayant exploité un commerce propice aux cadeaux pendant toute leur vie professionnelle – une librairie -, la journée du 24 décembre représentait traditionnellement une de leurs meilleures recettes de l’année. Elles rentraient tard et fatiguées. Nous aussi d’ailleurs, car avant d’entrer dans la vie active, nous apportions notre aide en faisant les paquets cadeaux. Le dîner était simple et rapidement expédié, les agapes étant réservées au déjeuner du 25. La vente de la librairie ne changeait pas leurs habitudes. Au menu ce soir-là, une bisque de homard en boite avec quelques croutons à l’ail et une cuillérée de crème, une blanquette de veau réchauffée accompagnée de riz et de carottes, puis un entremet au caramel avec quelques gâteaux secs dont des cigarettes russes. Je ne résistai pas au plaisir de faire observer que les carottes se voyaient attribuer des effets positifs sur l’amabilité. Mon trait d’esprit fit visiblement bouillir la grand-mère et monter la moutarde au nez de mon père. Ma mère, quant à elle, devint aussi rouge qu’une tomate.

Sapin-de-Noël – Photo-TLB
– Rosa sera pressée d’ouvrir ses cadeaux demain matin, nota notre chère grand-mère. Puisque vous passez Noël ailleurs, ce serait mieux que vous soyez partis avant qu’elle se lève. Si vous lui avez apporté des cadeaux, laissez-les sous le sapin.
– Évidemment, approuvai-je. Mais pas avant l’aube non plus. Je propose que nous quittions la maison pour 9 heures. Ainsi, le temps que vous allumiez les décorations du sapin, elle pourra commencer son Noël vers 9 heures 15 ou 9 heures 30. Ça me paraît raisonnable.

Cobra-Version-Père-Noël – Photo-Thierry-Le-Bras
« Je me sentais soulagé d’en finir avec ce Noël qui s’annonçait différent. Plus tard, je devais admettre que si les enfants attendent des cadeaux, se réjouissent de la prétendue magie du 25 décembre, la plupart des adultes redoutent cette journée qui réveille leurs blessures. Noël, c’est le moment de l’année où l’absence des disparus pèse le plus, c’est la conscience que le temps a passé depuis l’âge de l’insouciance et de la naïveté. Seuls les petits croient au mythe d’un bonhomme à barbe blanche qui conduit son traineau rouge plus vite qu’une Formule 1. Un engin conçu et préparé par Ferrari ? Maserati ? Lamborghini ? Porsche ? Pourquoi pas une Cobra ???

Van-Père-Noël – Photo-TLB
Ou un véhicule plus pratique. Un van avec un gros V8 d’au moins 7 litres de cylindrée. Un véhicule rapide, confortable, offrant une charge utile agréable. Un engin équipé de la climatisation protégeant le Père Noël du coup de froid et ses rennes du claquage musculaire. Ces charmantes bêtes ne seraient-elles pas mieux à déguster du chocolat dans un chalet bien chauffé plutôt qu’à user leurs forces au coeur d’une nuit glaciale ? Tout ça pour apporter à des mioches aussi mal élevés que capricieux des gadgets bientôt cassés ou en panne…
Ce constat cynique me ramena au fond de ma pensée. Noël, c’est le jour où beaucoup réalisent qu’ils sont mieux partout ailleurs que dans leur famille pour reprendre la formule apprise de mon père. Noël, c’est une gigantesque scène de théâtre où tout le monde fait semblant de passer un moment merveilleux.
A suivre…
QUELQUES LIENS
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Philippe Georjan
(propos recueillis par Thierry Le Bras – Vous êtes surpris qu’un personnage de fiction s’exprime et signe ? Vous avez tort, les personnages de fiction vivent dans un univers parallèle où ils entraînent leur créateur et les lecteurs de leurs aventures. Pourquoi ne s’exprimeraient-ils pas ? C’est la magie de la fiction, chers lecteurs. En tant qu’auteur, je ne suis que le biographe de mes personnages et je leur suis reconnaissant de m’accepter dans leur monde et d’obtenir d’eux l’autorisation de rapporter les temps forts de leurs existences).
24/12/2015 à 19:12
Bonsoir Thierry !
Belle peinture de ce que peut être une famille avec ses désamours et ses compromissions, voire même ses haines intestines entretenues par des dictateurs de la bien pensance.
Noël ne change rien, c’est même souvent un catalyseur de ces malaises.
J’attends la suite avec gourmandise …
NostalGuy
26/12/2015 à 15:38
Merci Guy. Oui, Noël ne change pas les relations. Dans les familles, tout le monde ne s’aime pas. Certains s’adorent, d’autres se détestent, d’autres passent les uns à côté des autres sans passion d’aucune sorte. Inutile de chercher des responsabilités, des fautes, c’est comme ça. Tout le monde ne se comprend pas, tous ne ressentent pas la même chose au même moment. L’amour ne se contrôle pas. Noël est une fête qui concentre les émotions. Alors forcément, les dérapages ne sont pas faciles à contrôler. Dans ce feuilleton, Philippe décide de modifier sa trajectoire. Il abandonne la course pour éviter la sortie de route et s’engager dans un autre programme. Deux épisodes à venir… Aussi caustiques et souvent tristement réalistes.
Thierry