Vous êtes ici : CIRCUITMORTEL » Fiction » DE TROP A NOËL 2/6

DE TROP A NOËL 2/6

Circuit Mortel vous offre un feuilleton automobile en 6 épisodes pour les fêtes ! Un peu road-movie, franchement cynique, non dénué d’humour caustique, sans illusions sur les familles, une histoire où vous vous demanderez si le Père Noël existe… ou pas ? Le narrateur sera Philippe Georjan, personnage déjà connu de mes lecteurs les plus fidèles. Les autres le découvriront.

Père-Noël - Photo-Thierry-Le-Bras

Père-Noël – Photo-Thierry-Le-Bras

Le premier épisode de ce feuilleton est en ligne ICI http://circuitmortel.com/2015/12/de-trop-a-noel-16/

(Toujours passionné de course automobile et motivé par sa rivalité avec Brice, Philippe Georjan habite désormais Montlhéry. Il revient avec son inséparable cousin Laurent passer Noël dans la maison familiale à Saint-Malo. Leur première visite depuis un an…).

Épisode 2

Mes parents m’avaient toujours gâté, je ne saurais le nier. Ils devaient donc tenir un peu à moi. Noël 1978 serait sans doute l’occasion de dissiper les malaises et de repartir du bon pied dans nos relations. Bien que ne croyant plus au Père Noël, je me voulais optimiste.

Nous étions partis de Montlhéry le 24 au matin avec l’Opel Kadett GTE que j’utilisais au quotidien. Le coffre était plein car Saint-Malo ne représentait que la première étape de nos vacances de Noël. Dès le 26 avant 9 heures, nous mettions le cap sur Isola 2000, la station des Alpes qui accueille chaque année maintenant une manche du Trophée Andros était déjà appréciée grâce à la qualité de son domaine skiable. Nous y retrouverions notre bande, Xavier, Gérald et leurs épouses en tête. Ils étaient plus que des amis pour nous, carrément une autre famille, une famille de cœur.

R-12-Gordini - 1974 - Rallye-d-Armor - Photo-Thierry-Le-Bras

R-12-Gordini – 1974 – Rallye-d-Armor – Photo-Thierry-Le-Bras

Nous nous sommes arrêtés déjeuner à Rennes, dans une crêperie-grill que nous fréquentions lorsque nous étions encore étudiants, c’est-à-dire à une époque pas si lointaine. Les propriétaires restaient aussi charmants et la cuisine de chef fort appétissante quoique très simple. Nous fûmes ravis de constater qu’ils avaient gardé une photo de nous à l’époque, C’était au Rallye d’Armor 1974 que nous avions disputé avec notre première voiture de course, une R12 Gordini. La photo était accrochée au mur avec son cadre. A côté d’un cliché de Brice à la Course de côte d’Hebecrevon au volant de la Fiat 128 avec laquelle il avait couru à ses débuts. Il était également client et les patrons l’appréciaient. J’aurais eu mauvaise grâce de le leur reprocher. Nous nous fîmes plaisir en commandant notre menu favori dans cet établissement, du jambon cru, un steak frites et une crêpe aux bananes flambée au rhum. La magie opérait toujours.

Saint-Briac-l-hiver - Photo-Thierry-Le-Bras

Saint-Briac-l-hiver – Photo-Thierry-Le-Bras

Comme convenu entre Laurent et son père, nous devions arriver à la maison familiale vers 18 heures 30. Nous avions donc occupé l’après-midi à nous promener le long de la côte entre la Pointe du Groin et Saint-Briac. Une alternance de trajets en voiture et de balades à pied sur des lieux que nous connaissions depuis notre enfance. Le réveil de bons souvenirs et aussi le sentiment curieux que c’était une autre vie, un chapitre clos, presqu’un univers  parallèle éloigné de nos existences actuelles.

Miniature-Opel-Kadett-GTE-1978

Miniature-Opel-Kadett-GTE-1978

A 18 heures 30 précises, j’ai garé la Kadett GTE dans le parc de la propriété du Rosais. J’ai beaucoup aimé cette voiture et je possède encore un modèle réduit la représentant.

– Une nouvelle voiture, persiffla notre grand-mère en découvrant mon Opel dans l’allée. Encore une bagnole pour draguer et foncer comme des fous. Un jour, on vous ramassera tous les deux à la petite cuillère.

– Non, répliqua Laurent. Le jour de l’accident fatal, la voiture brûlera comme les gâteaux quand tu essaies de cuisiner. Nous passerons directement à l’état de cendres en zappant la case crématorium. Des hommes pressés jusqu’au bout !

– Des personnes pleureront comme des madeleines, ajoutai-je. Sincèrement ou hypocritement. Certaines boiront du petit lait. Car comme l’a magnifiquement chanté Sylvie Vartan, « à tous nos amis nous laisserons bien peu, l’occasion de souffrir. A nos ennemis, nous laisserons mieux, l’occasion de mentir ».

Nonobstant la tradition des confiseurs, il n’y aurait pas de trêve de Noël cette année.

La rencontre avec Rosa était prévue dans la salle de séjour. Les enfants s’adaptent très vite à un nouvel environnement. Rosa comprenait désormais le français dont elle ne connaissait que quelques mots au moment de son arrivée dans l’Hexagone. Elle était assise sur un canapé entre mon père et ma mère. Ma tante se tenait un peu raide sur un fauteuil à quelques centimètres d’eux. Ma grand-mère prit place dans un autre fauteuil sur le côté. Déformation professionnelle due à mon métier d’avocat ? Simple appréciation d’une situation tendue ? J’eus l’impression d’entrer dans une salle d’audience et de faire face à un collège de magistrats.

– Dès qu’elle nous vit, Rosa se blottit dans les bras de mon père, douce comme un chaton avec lui, et prête à nous griffer à la première occasion.

– Vous lui faites peur avec vos cuirs, reprocha ma mère.

Je n’avais pas encore enlevé mon blouson d’aviateur. Pour sa part, Laurent portait un blouson marron dont la fermeture éclair coulissait entre l’épaule et la hanche droite. Je n’avais pas imaginé que notre arrivée susciterait la même inquiétude qu’une entrée en scène signée Dark Vador.

– Laisse leur le temps d’arriver, tempéra le père de Laurent, visiblement irrité par l’attitude de ma mère.

Nous ôtâmes nos blousons et les accrochâmes sur un porte-manteau dans le hall. Rosa s’était détendue à notre sortie. Notre retour la précipita dans les bras de ma mère. Nous n’étions pas les bienvenus, c’était évident. Ma grand-mère me fixait avec l’amabilité d’une panthère. Sans l’élégance d’une Bagheera.

Matra-Baheera - Photo-Thierry-Le-Bras

Matra-Baheera – Photo-Thierry-Le-Bras

Citroën-GS - modèle-1977 - Photo-Thierry-Le-Bras

Citroën-GS – modèle-1977 – Photo-Thierry-Le-Bras

Elle n’avait rien à faire de Matra et roulait maintenant en GS après avoir usé quelques Fiat 1500, 124 et 125. Elle me fixait avec méfiance, rêvant de me déchirer le cœur d’un coup de griffes. Pas étonnant. Nous nous étions toujours mesurés comme des fauves. Sans affrontement direct jusqu’à présent, mais en nous tenant mutuellement en respect.

Mon oncle apaisa la tension en proposant de décharger nos bagages et de nous installer à l’étage où nous vivions quelques années plus tôt.

– Je vais essayer de rassurer Rosa pendant ce temps-là, déclara ma mère d’une voix fraiche aux arômes de griefs.

– Rassurer Rosa, comme si nous représentions un danger, glissai-je à Laurent en me dirigeant vers la voiture.

Décorations-de-Noël - Photo-Thierry-Le-Bras

Décorations-de-Noël – Photo-Thierry-Le-Bras

– Je m’attendais à un autre accueil, enchaîna mon cousin. Je présume que notre garce de grand-mère a bien monté Rosa contre nous et qu’elle a su conditionner nos mères. Les décorations de Noël qui envahissent la maison ne semblent pas signe de paix cette année…

– Sans doute, admit son père qui détestait sa belle-mère et lui imputait tous les dysfonctionnements de son couple. A cause de cette femme, il avait toujours ressenti l’impression de vivre à côté de ma tante plutôt qu’avec elle. Comme mon père, il se consolait ailleurs tout en déplorant une vie affective faite de mensonges, de convenances et d’artifices. Une tendance certes banale dans la majorité des familles, mais pas satisfaisante pour autant.

– Je vous préviens, reprit mon oncle, Rosa est une petite capricieuse qui fait marcher tout le monde. Sa grand-mère et tes parents lui cèdent tout, Phiippe. Ta mère aussi, Laurent. Prenez le temps de vous installer et descendez pendre l’apéritif vers 20 heures. Je vais essayer d’arranger les choses. Je ne compte pas la laisser gâcher le Noël de tout le monde.

Mon oncle avait dû user de trésors de diplomatie car l’atmosphère du séjour semblait presque conviviale lorsque nous sommes redescendus. Enfin, jusqu’à ce que Rosa se blottisse à nouveau dans les bras de mon père. Je tentai une  manœuvre  de conquête. Je m’approchai avec un sourire engageant et lui chatouillai gentiment le menton avec un guili – guili sûrement très niais, pas tout à fait sincère, mais parfaitement aimable. Elle hurla et se serra encore davantage contre mon père qui me lança un regard noir où ne perçait aucune nuance de complicité ni d’affection.

Mon oncle servit l’apéritif. Whisky pour les hommes, porto pour les dames, jus d’orange pour la petite demoiselle.

Sapin-de-Noël - Photo-Thierry-Le-Bras

Sapin-de-Noël – Photo-Thierry-Le-Bras

La conversation s’engagea péniblement. Après quelques banalités sur le temps, la circulation depuis Paris, le groupe se scinda en deux. Mes parents, ma tante et la grand-mère et Rosa se regroupèrent près de la crèche et lui expliquèrent cette tradition qui n’était pas encore attaquée par des gens qui veulent anéantir notre culture, notre civilisation et nos traditions. Mon oncle bavarda avec nous.

Il nous fit part des hésitations qu’il avait éprouvées avant de commander sa prochaine voiture. Trois modèles avaient retenu son attention, le coupé Opel Monza 3 litres, la BMW 528 et la Citroën CX Prestige. Laurent sourit. Bien que son père ne lui ait rien dit, il était certain de sa décision.

Citroën-CX-Prestige Photo-Thierry-Le-Bras

Citroën-CX-Prestige Photo-Thierry-Le-Bras

– Ta CX arrive quand ? s’enquit mon cousin.

– Fin janvier. Je l’ai prise en gris métal avec toit noir. Comment tu as deviné ?

– Ben, je ne t’ai jamais vu acheter autre chose que des DS, puis des CX…

– Pourtant cette fois, j’ai vraiment hésité. L’Opel me plaisait bien, confia-t-il en baissant la voix. Seulement le clan des femmes m’a menacé de de ne pas monter dedans parce que c’était paraît-il une voiture de play-boy. Quand j’ai vu ta Kadett GTE tout à l’heure, Philippe, j’ai eu brin de regret.

– J’ai la même dans une autre couleur, intervint Laurent. Une sorte d’orange.

– Je ne savais pas, observa mon oncle. Nous ne nous sommes pas beaucoup parlé cette année. L’arrivée de Rosa à la maison ne nous a pas permis de nous voir en fait.

– Et la BM ? coupai-je, peu désireux de laisser la conversation s’engager sur une piste glissante.

– Elle me plaisait aussi. Je l’ai essayée avec une suspension sport. Il paraît que ça lui procure une meilleure tenue de route, mais elle est tout de même moins confortable que la Citroën. Alors, je suis resté fidèle aux chevrons.

– Les Citroënistes restent Citroënistes, notai-je.

Alfa-Romeo-Alfetta-1,8

Alfa-Romeo-Alfetta-1,8

– Pas faux, admit mon oncle. J’ai quand même hésité deux fois dans ma vie. En 1973, j’aurais pu craquer pour une Alfetta. Il s’en est fallu de peu. Le bruit de son moteur me mettait en transe. Je crois que si le garage avait fait un effort sur la reprise de ma DS, je me serais laissé faire. Et cette fois-ci, il s’en est fallu de peu aussi.

Nous dégustâmes un deuxième whisky en continuant à bavarder entre nous. Puis vint le moment de passer à table.

A suivre…

QUELQUES LIENS

DESIGNMOTEUR présente le design des automobiles Citroën de 1919 à 2015 http://www.designmoteur.com/2015/04/citroen-in-lines-infographic/

Retrouvez Philippe et Laurent dans une interview à DESIGNMOTEUR au sujet d’un polar dont ils sont les personnages principaux http://www.designmoteur.com/2014/12/roman-polar-passion-automobile/

Philippe Georjan

(propos recueillis par Thierry Le Bras – Vous êtes surpris qu’un personnage de fiction s’exprime et signe ? Vous avez tort, les personnages de fiction vivent dans un univers parallèle où ils entraînent leur créateur et les lecteurs de leurs aventures. Pourquoi ne s’exprimeraient-ils pas ? C’est la magie de la fiction, chers lecteurs. En tant qu’auteur, je ne suis que le biographe de mes personnages et je leur suis reconnaissant de m’accepter dans leur monde et d’obtenir d’eux l’autorisation de rapporter les temps forts de leurs existences.

Comments are closed.