Circuit Mortel vous offre un feuilleton automobile en 6 épisodes pour les fêtes de fin d’année ! Un peu road-movie, franchement cynique, non dénué d’humour caustique, sans illusions, une histoire où vous vous demanderez si le Père Noël existe… ou pas ? Le narrateur sera Philippe Georjan, fou de course automobile déjà connu de mes lecteurs les plus fidèles. Les autres le découvriront.
Épisode 1
Douze ans avaient passé depuis « VENGEANCE GLACÉE AU COULIS DE SIXTIES » (1). Noël 1978 arrivait…

Autodrome-de-Montlhéry – Journée-d-essais
« Notre aventure de 1966 avait beaucoup influencé le cours de nos vies, se rappelle Philippe. Mon cousin Laurent et moi avions vingt-six ans. Après des études de droit à Rennes, nous travaillions au sein d’un cabinet parisien. Les relations de nos amis rencontrés au temps de l’adolescence avaient facilité notre intégration dans une bonne équipe d’avocats.
Nous vivions à Montlhéry, comme Xavier, Gérald et Alain. Pas loin du circuit. Nous aimions notre nouvelle existence malgré les contraintes inhérentes à la région parisienne, notamment le temps de transport.
Le jour de Noël représenterait l’occasion de retrouver nos parents après une année chargée où les contacts s’étaient limités à des échanges de cartes et à quelques conversations téléphoniques assez brèves. Une année riche en temps forts. Laurent et moi n’avions pas vu passer les mois rythmés par le calendrier judiciaire et els courses automobiles auxquelles nous participions. Car comme je le prévoyais depuis toujours, mon cousin me naviguait en rallye et avait la gentillesse de me suivre sur les autres épreuves, courses de côtes et circuits. Nous pensions à construire quelque chose dans nos vies privées. Vivre dans une même maison avec des filles qui s’entendraient bien faisait partie de nos projets. Nos parents respectifs avaient réalisé ce schéma à Saint-Malo – nos pères étaient frères et avaient épousé deux sœurs. Xavier et Gérald, héritiers de la propriété de leurs parents, continuaient à l’habiter avec leurs épouses respectives. Laurent et moi nous ressemblions beaucoup et avions été élevés comme des jumeaux. Nous entendions poursuivre la tradition.

BMW-30-CSL-Luigi-Marabout
Nous avions bénéficié d’une grande liberté lorsque nous étions enfants puis adolescents car nos parents n’avaient pas le temps de s’occuper de nous. Nos mères consacraient beaucoup de temps à leur librairie à Saint-Malo. Un commerce qui présentait un avantage à nos yeux. Elles nous offraient un exemplaire des livres de la collection Marabout dès leur sortie. En échange, nous leur rédigions des argumentaires de présentation de ces ouvrages. Les plus jeunes ne connaissent pas forcément les livres Marabout. La marque est désormais exploitée par le groupe Hachette. Mais durant les sixties et les seventies, elle appartenait à un éditeur belge spécialiste des ouvrages traitant de compétition automobile ! L’implication de Marabout dans le monde automobile s’accompagnait du sponsoring d’écuries dans de grandes épreuves telles que les 24 Heures de Spa. Nos pères avaient choisi de pratiquer la chirurgie. La clinique au sein de laquelle ils exerçaient réduisait leurs loisirs à la portion congrue. Du moment que nous ramenions de bonnes notes et que nous adoptions un look classique et propre sur nous, personne ne nous demandait jamais de comptes. Nous avions saisi le deal et mijotions sans rechigner les recettes comportementales qu’attendaient nos pères et mères. Nous dévorions des livres avec appétit et goûtions volontiers les matières littéraires. Quant aux maths et aux sciences, nous nous forcions un peu, comme quand il s’agissait d’absorber des sardines ou du chou-fleur. Sans plaisir, mais sans répulsion affichée.
Ce que nous appréciions le moins, c’étaient les visites de notre grand-mère maternelle. Sa tête à manger des gâteaux secs nous coupait l’appétit. Elle nous trouvait aussi durs que de la viande de sanglier que le cuisinier aurait oublié de faire mariner. Dans le souci d’éviter les salades avec la vieille chèvre, nous avions toujours adopté la recette du sorbet pamplemousse. De la fraîcheur teintée d’amertume qui n’incitait pas au réchauffement des relations.

Renault-Estafette-Boulangerie-Pâtisserie – Photo-Thierry-Le-Bras
Contrairement à celle de l’Estafette, cette mamie-là ne savait pas faire un bon café, ni des confitures, ni des crèmes au chocolat… Ni rien du tout d’ailleurs, à part empoisonner l’atmosphère. Par contre, elle adorait mettre nos mères sur le grill et les accommoder à la sauce gentilles petites filles à leur maman. En 1977, la grand-mère avait obtenu ce qu’elle voulait. D’abord, les décider à vendre la librairie. Contre nos avis et ceux de nos pères… Ensuite, convaincre mes parents d’adopter une petite fille. Une tâche assez facile. Mon père regrettait de ne pas avoir eu une fille. Il enviait la relation de son frère – mon oncle et le père de Laurent – avec Christina, ma cousine qui était aussi la sœur aînée de Laurent. Ma mère et ma tante craquaient dès qu’elles voyaient un bébé. Nul doute qu’elles traiteraient la nouvelle venue comme une princesse. Notre indépendance les avait frustrées. Quant à mon père, je l’imaginais volontiers en papa gâteau s’il parvenait à rompre la glace que formaient son caractère distant et son air absent dès qu’il rentrait à la maison. Un jour, quand j’avais seize ans, alors que je lui apportais à la clinique un dossier oublié sur la table du séjour, je l’avais entendu plaisanter avec une interne.
– Où est-on mieux que dans sa famille ? interrogea-t-il.
– Partout ailleurs, absolument partout, avait-il ajouté après quelques secondes de silence.
Il n’avait pas marqué la moindre gêne en découvrant ma présence. J’avais salué aimablement sa collaboratrice puis je m’étais éclipsé. J’avais observé depuis longtemps que si mon père et mon oncle nous invitaient très souvent dans de bons restaurants, s’ils nous laissaient utiliser leur voilier pendant les vacances, ils ne nous invitaient que très rarement à venir lorsqu’ils partaient à la pêche le dimanche.
Je n’avais pas émis d’avis sur le projet d’adoption. Pas par jalousie. Simplement parce que je considérais mes parents assez grands pour choisir les recettes qui les rendraient heureux. Je doute d’ailleurs du poids de mon opinion et de celle de mon cousin. Bien qu’avocats intégrés à un cabinet réputé, ni Laurent ni moi n’étions consultés lorsqu’il s’agissait de gérer leurs dossiers juridiques. Pas plus que ceux de la clinique, la vente de la librairie ou la procédure d’adoption.
La petite Rosa était arrivée dans la demeure familiale au mois de février précédent. Je ne la connaissais qu’en photo. Mieux valait la voir sous cette forme qu’à table où, contrairement à Laurent et moi, elle montrait un appétit d’oiseau nappé de sauce aux caprices multiples.

Décoration-sapin-de-Noël – Photo-Thierry-Le-Bras
Afin de faciliter l’intégration de Rosa à son nouveau foyer, mes parents avaient suivi les conseils de ceux qui affirmaient qu’il valait mieux lui éviter les contacts avec moi avant qu’elle se sente parfaitement chez elle. J’avais accédé à cette requête sans émettre d’objection. Laurent avait mis son grain de sel et refusé de passer à la maison familiale tant que les conseilleurs n’estimaient pas la petite Rosa assez forte pour supporter les nouvelles de mon existence. Elle n’était plus tout à fait un bébé. Afin d’accélérer le processus juridique, mes parents avaient fait appel à une association qui facilitait l’adoption d’enfants étrangers. Rosa venait d’Asie. Elle avait un peu plus de cinq ans à son arrivée en France. Elle ne parlait pas notre langue, mais à son âge, les capacités d’apprentissage sont telles qu’il ne lui faudrait que quelques semaines pour surmonter ce problème. Elle avait été rebaptisée d’un prénom français.
Mon oncle estimait que Noël marquait le moment de réunir la famille. L’absence de Laurent depuis près d’un an lui pesait. Quand nous étions plus jeunes, il profitait des moments où je partais sur des reconnaissances de rallyes avec Xavier pour amener Laurent en croisière sur des voiliers sympas qu’il louait en Méditerranée. J’avais accepté de bon cœur l’idée de passer Noël en famille. Après tout, la présence d’un enfant à la maison découragerait peut-être la grand-mère de servir sa spécialité, la soupe à la grimace. Il ne manquerait que Christina, qui passerait le 25 décembre dans sa belle-famille.
Je ne faisais pas partie des inconditionnels de Noël qui se réjouissent des semaines à l’avance de l’ouverture de la trêve des confiseurs. Noël, c’est aussi un rite si mythique que tout le monde redoute de le rater. Un jour merveilleux aux yeux de l’enfant qui découvre le sapin illuminé plus grand que lui. Mais au fil des années, l’enfant grandit. Le sapin paraît plus petit. Les préoccupations ne disparaissent pas par miracle avec le passage d’un pilote de traineau Ferrari motorisé par un double alignement de rênes.

Bugatti-jouet – Photo-Thierry-Le-Bras
J’avais appris l’arrivée de Rosa par Brice, peu avant le départ de la première épreuve spéciale du Rallye de la Côte Fleurie à Deauville. Ses parents tenaient un magasin de jouets à Saint-Malo. Ma mère avait dévalisé leur stock de poupées, peluches et autres articles correspondant à une petite fille appartenant à la tranche d’âge cinq – six ans. Sans oublier la voiture à pédales la plus chère qu’elle avait trouvée, une réplique de Bugatti. Laurent et moi n’avions pas été mis au courant…

Tube-Citrën-de-vendeur-de-dindes-de-Noël – Photo-Thierry-Le-Bras
Brice entretenait des relations contrastées avec moi. Nous nous connaissions depuis la sixième. Nous partagions la même passion absolue des sports mécaniques. Brice se délectait d’ironie et de blagues d’un goût douteux qui trahissaient souvent une pointe de jalousie. Au collège, son impétuosité lui avait causé de nombreux désagréments. Car quoi que bien bâti, Brice était petit et léger par rapport à la moyenne des autres élèves. Ses farces l’exposaient comme une dinde de Noël. Il se faisait secouer comme un prunier. Objectivement, je n’avais pas été le dernier à lui faire déguster des salades de gazon ni à attendrir ses épaules d’agneau à coups de poings. Sur la plage, mes claques le rendaient rouge comme une écrevisse. Avant bien sûr de le prendre sur mes épaules puis de le plonger dans l’eau salée comme dans un bouillon. Après ses provocations, il se faisait régulièrement qualifié d’andouille par Gogo, un garçon qui dépassait tout le monde d’une tête. Brice ripostait verbalement en traitant son copain de grande asperge au QI d’huitre. Il le payait de quelques tartes et marrons symboliques (pas vraiment douloureux car Gogo était bonne pâte). Porté à ébullition, Brice rêvait sans doute de nous découper en morceaux avec un couteau de boucher. Mais voilà, c’est très injuste, au collège ou à la plage, la raison du plus fort est toujours la meilleure.
Ceci dit, Brice était un dur à cuire qui encaissait vaillamment les corrections cuisantes que lui valait son inconscience de perdreau de l’année. Il était soupe au lait et son orgueil bouillait sur l’instant. Mais le soufflé de sa colère retombait assez vite. Il savait mettre de l’eau dans son vin avant que les choses tournent au vinaigre. Enfin, presque toujours. Une fois, sa tête de lard a tellement énervé un camarade d’une autre classe que Brice s’est retrouvé avec un œil poché sans comprendre ce qui lui était arrivé.

Ford-Escort-2000-RS-MKII-groupe-1- Photo-Thierry-Le-Bras
En course, Brice et moi étions des adversaires acharnés depuis nos premières épreuves de karting. 1978 devait exacerber notre rivalité. Brice estimait que je venais le chercher pour l’embêter et l’humilier. Il avait choisi de courir sur une R5 Alpine groupe 2 après avoir appris que je m’alignerais sur une nouvelle Ford Escort RS 2000 groupe 1.

Opel-Kadett-GTE – 1977 – Photo-Thierry-Le-Bras
La saison précédente, Brice pilotait une Opel Kadett GTE et moi une Escort MKI. Je l’avais dominé en course de côte et en circuit, ce qui était logique. Il m’avait fait souffrir en rallye, je dois bien l’avouer. Il avait remporté le groupe 1 à la Côte fleurie dans des conditions d’adhérence précaires. Je l’avais explosé au Touraine sur piste sèche. Il avait pris sa revanche à l’Armor sous la pluie. J’avais remis les pendules à l’heure au Rallye de Dieppe. Je l’avais aussi battu à Alençon (largement) et à La Rochelle (sur le fil). Je le suspectais d’utiliser une voiture non conforme et j’avais raison. Mais ça, c’est une autre histoire (2)…

VW-Golf-GTI – Rallye – Photo-Thierry-Le-Bras
Brice avait frôlé la crise d’apoplexie en découvrant mon engagement au Rallye de la Côte fleurie sur une Golf GTI groupe 2, c’est à dire une auto de la même catégorie que la sienne. En fait, j’avais bien prévu de disputer la saison sur Escort, tant en rallye que dans les autres disciplines. Mais en janvier, un important garage d’Ille de France m’avait proposé de piloter sa Golf en rallye. Il eût été stupide de refuser. Je piloterais la VW en rallye et l’Escort dans les autres disciplines. Tant pis si mon choix dérangeait Brice !
Un peu jaloux, franchement teigneux et revanchard, mon adversaire s’était fait un plaisir de m’annoncer une nouvelle qui pouvait me déstabiliser avant la course. Il comprenait intuitivement que si mes parents adoptaient un enfant à leur âge, c’était parce qu’ils ressentaient une sorte de manque affectif que leurs relations avec moi n’avaient pas comblé. Il me plantait un couteau dans le dos de la manière la plus déloyale qui soit. C’était du Brice pur jus, saignant et épicé. Au moins ne serait-il jamais sans saveur et sans odeur… Il n’était pas parvenu à me déconcentrer mais j’avais tout de même encaissé que mes parents n’aient pas éprouvé le besoin de m’avertir eux-mêmes. Je m’étais convaincu que c’était de la gêne plus qu’autre chose…
A suivre…
QUELQUES LIENS :
DESIGNMOTEUR présente une BMW qui ferait une merveilleux cadeau de Noël http://www.designmoteur.com/2015/12/bmw-m6-gt3-motorsport/
(1) Retrouvez Philippe, Laurent, Brice et les autres dans un polar qui se conclut au bord de la piste des 24 Heures du Mans http://amzn.to/1nCwZYd
(2) Les salades à la sauce Brice Bolonié, pilote rapide mais tricheur sans scrupules http://0z.fr/110Cx
Philippe Georjan
(propos recueillis par Thierry Le Bras – Vous êtes surpris qu’un personnage de fiction s’exprime et signe ? Vous avez tort, les personnages de fiction vivent dans un univers parallèle où ils entraînent leur créateur et les lecteurs de leurs aventures. Pourquoi ne s’exprimeraient-ils pas ? C’est la magie de la fiction, chers lecteurs. En tant qu’auteur, je ne suis que le biographe de mes personnages et je leur suis reconnaissant de m’accepter dans leur monde et d’obtenir d’eux l’autorisation de rapporter les temps forts de leurs existences).