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La dernière Targa Florio, une BD signée Dugomier et Krings

La dernière Targa Florio est éditée par Glénat dans la collection Plein Gaz, créée en 2012 pour mettre à l’honneur l’univers automobile. A son lancement, son directeur, Frédéric Mangé, annonçait la couleur : « Beaucoup (…) faute de moyens, vivent leur passion au travers des magazines spécialisés, des livres, des miniatures, des retransmissions télévisées et des manifestations de plus en plus nombreuses. La grande absente, si l’on excepte Michel Vaillant, est la bande-dessinée. Plein Gaz a été créée pour combler cette lacune ».

La dernière Targa Florio

En dehors de Michel Vaillant et des productions Glénat, il existe tout de même d’autres BD automobiles, notamment chez Paquet. Et aussi quelques romans au cœur des sports mécaniques. Comment ne pas se réjouir que l’automobile inspire les auteurs et dessinateurs ? La dernière Targa Florio est le 15ème album de la collection Plein Gaz. D’autres suivront, n’en doutons pas. Nous les attendons déjà avec impatience.

Dans le souci de ne pas nuire aux droits d’auteurs des créateurs de cette BD, nous avons choisi d’illustrer sa présentation avec des images issues de notre photothèque. Les véhicules que vous allez découvrir participent au scénario sous d’autres angles mis en valeur par le talent des auteurs. Quant à la Porsche 911 Targa, elle a reçu son nom de baptême en l’honneur des victoires de son constructeur en Sicile.

Un docufiction au début des seventies

Si Dugommier et Krings élaborent une intrigue, c’est d’abord dans le but de raconter la Targa Florio. Car cette course a vraiment existé sur les routes de Sicile. C’était une épreuve difficile, originale, qui possédait toutes les caractéristiques pour devenir un mythe. Elle a atteint son but. Les vrais héros de l’album ne sont pas les personnages de fiction mais les animateurs des Targa Florio de 1973 et des éditions précédentes. Au fil des pages et des dessins, vous rencontrerez Vaccarella, Merzario, Regazzoni, Facetti, Ickx, Munari, Andruet, Van Lennep, Müller…

La Targa Florio serait inimaginable de nos jours. Imaginez une course réunissant sur un même site des prototypes tels que ceux qui disputent les 24 Heures du Mans, des machines de rallye ayant couru le Monte-Carlo, des voitures de tourisme vues en WTTC (World Touring Car Championship) ou en course de côte. Une course disputée sur des routes de montagne plutôt envisageables dans le cadre d’un rallye qu’aptes à accueillir des prototypes. Une boucle de 72 kilomètres à parcourir onze fois. Deux pilotes se relaient au volant de la voiture sans navigateur pour leur annoncer les notes. Au total 6 000 virages et près de sept heures de course.

Au bord des routes, des passionnés siciliens aux tempéraments plus volcaniques que l’Etna. Des supporters inconditionnels de Ferrari, Alfa Romeo, Lancia… Leur Dieu, Nino Vaccarella, né à Palerme et déjà vainqueur des éditions 1965 et 1971. Des amoureux d’automobile fiers des exploits de Nino et de tous leurs compatriotes. Des siciliens chaleureux qui accueillent les pilotes en héros.


Au cœur de l’histoire, les meilleures voitures de l’époque en endurance, en rallye, et dans d’autres disciplines. Une Alfa Romeo Giulia Super qui sert de voiture de reconnaissance au pilote de fiction auprès duquel nous suivrons la course. Une Berlinette Alpine groupe 4 au volant de laquelle il rêve de s’imposer, des prototypes Alfa Romeo 3 litres, des Ferrari 312 PB, des Porsche Carrera, une Lancia Stratos. Des voitures de tous les jours bien sûr, parmi lesquelles l’inévitable Fiat 500. Des scooters et triporteurs Vespa. Un transistor, l’outil d’information qui accompagnait partout les jeunes des générations d’avant Internet… Autant dire tous les ingrédients de l’atmosphère enfiévrée d’une compétition en 1973.

1970s Alfa Romeo Giulia Super - photo TLB

1970s Alfa Romeo Giulia Super – photo TLB

Prototype Alfa Romeo - photo TLB

Prototype Alfa Romeo – photo TLB

Porsche Carrera - photo TLB

Porsche Carrera – photo TLB

A la fin d’une époque

1973, c’était 42 ans avant la parution de ce scénario. Une belle époque, mais ça, c’était avant comme dit la pub. Une période qui réveille la nostalgie chez ceux qui l’ont connue. Une décennie qui fait partie de l’histoire pour ceux qui sont nés après. Si j’insiste sur cet élément, c’est dans le but de souligner la différence de conception de l’automobile entre 1973 et aujourd’hui. Nous étions alors en pleine société automobile. Les constructeurs osaient vanter les performances dans leurs publicités. Pas de traumatisme du C02 ou de la consommation de carburant. La femme du Président de la République Française alors en fonction aimait piloter sa Porsche à toute allure.

L’Europe vivait une période de prospérité et de confiance dans l’avenir. L’automobile se déclinait aux modes de l’économie et de la société. Elle affichait des couleurs joyeuses, du rouge, du jaune, de l’orange, des verts chantant l’espoir… Les Alfa 2000, BMW 2000 et 2002, DS 23 et autres SM ou Opel Commodore tapaient volontiers le 200 compteur sur les tronçons de ligne droite. Des courses de côtes se déroulaient régulièrement dans toutes les régions.

1960s BMW 2002 - photo TLB

1960s BMW 2002 – photo TLB

L’album de Dugomier et Krings retrace bien cette atmosphère avec des bolides excitants et envoûtants, des reconnaissances à la limite sur route ouverte, l’insouciance de ces années là. Sans oublier le danger, les accidents, les morts quand Saint-Christophe limitait ses indulgences.

Sans omettre non plus les prémices du basculement qui attend la Targa Florio. Elle va disparaître en tant que course de voitures contemporaines. D’abord du Championnat du monde, puis tout simplement des calendriers sportifs. La Targa Florio devient trop dangereuse au moment où la société se préoccupe de sécurité sur les routes et sur les circuits. 1973 représente une année charnière dans l’histoire de l’automobile. En ce sens, l’annonce de la disparition de l’épreuve s’analyse avec le recul comme un signe quasi-prémonitoire. Bientôt, le 6 octobre, les Égyptiens et les Syriens entreraient en conflit avec Israël. Cette guerre du Kipour entraînerait de nombreuses conséquences pour l’automobile. L’OPEP augmenterait ses tarifs de 70% et limiterait sa production. Le spectre du rationnement grandirait. Début 1974, les courses automobiles seraient interdites en France (jusqu’au printemps 1974). Les limitations de vitesse s’aggraveraient. Les conseils d’économie de carburant fleuriraient et stigmatiseraient la conduite sportive. Les courbes de ventes des modèles Diesel s’accéléreraient. Celles des voitures intéressantes et vivantes s’infléchiraient vers le bas. Le premier choc pétrolier entraînerait la fin des 30 glorieuses et les crises économiques dont nous ne sommes jamais vraiment sortis. L’automobile deviendrait moins flamboyante. Des courses automobiles disparaîtraient, y compris la mythique Targa Florio.

Félicitations aux Éditions Glénat de nous faire voyager dans le temps jusqu’à l’insouciance du premier semestre 1973 (au début de l’album).

Dimension parallèle

La partie fiction de la BD repose sur une intrigue sentimentale. A la suite d’un pacte se rapportant à la Targa Florio, Angelo doit remporter la course avant ses 25 ans s’il veut épouser la charmante jeune fille dont il est follement épris. Mais voilà, il n’avait pas prévu que 1973 serait la dernière édition de l’épreuve. Et il ne dispose pas a priori de la voiture pour s’imposer.

Étrange paradoxe… La course automobile nécessite une extrême rigueur, tant dans la préparation de la voiture que celle du pilote. Les auteurs soulignent très bien cette exigence en accordant des cases au soin avec lequel Angelo apprend le parcours au volant d’un Alfa Romeo de série.

Et pourtant, ces pilotes rationnels et ceux qui les entourent admettent l’irrationnel. Ici, la course est érigée au rang d’être supérieur. Il n’est pas question d’aller à l’encontre du destin qu’elle décide, accorde ou exige. Pour en savoir plus… il faudra lire La dernière Targa Florio !

J’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir cet album au dénouement inattendu. Un seul regret. Angelo aime davantage la fille que la course. Il ne court que pour elle, sans avoir vraiment envie de disputer d’autres épreuves, A mon sens un manque dans une BD qui intéressera principalement des passionnés de compétition automobile. Mais je vous conseille tout de même d’acheter et de lire ce livre. Surtout si vous vous intéressez aux voitures d’hier et aux épreuves un peu déraisonnables à l’opposé de notre société actuelle morne et aseptisée.

Thierry Le Bras


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